Isolement, stress et déplacements fréquents: une étude fédérale obtenue par La Presse lève le voile sur les causes probables de suicide et d'automutilation dans les pénitenciers du pays.

Soixante-six suicides survenus entre 2003 et 2008, période étudiée par Service correctionnel Canada (SCC), ont été scrutés à la loupe par les scientifiques fédéraux. Vingt autres individus se sont infligé des blessures volontaires, ce qui comprend les tentatives de mettre fin à ses jours.

Les conclusions de ce rapport sont sans appel: dans près de 60% des cas de suicide, une augmentation importante du stress avait eu lieu avant la mort du détenu. Les «problèmes interpersonnels, les accusations en instance, les problèmes financiers» sont notamment montrés du doigt par l'étude.

Par ailleurs, le changement de lieu d'incarcération (transfert vers un autre établissement, changement d'unité ou retour en prison) contribuerait à expliquer près de 50% des cas d'automutilation.

Des criminels violents

«Il y avait au moins un événement déclencheur dans le cas de 95% des détenus qui se sont mutilés et de 89% de ceux qui se sont suicidés, conclut l'étude scientifique. Bon nombre de ces événements déclencheurs ou facteurs de risque n'auraient pas été considérés comme importants avant l'incident.»

Un peu plus du tiers des individus qui ont mis fin à leurs jours étaient derrière les barreaux pour avoir tué une autre personne. La quasi-totalité des suicidés, soit 96% d'entre eux, avait commis un crime violent.

Pour Serge Abergel, porte-parole de Service correctionnel Canada, le profil du détenu a une influence énorme sur son degré de risque suicidaire.

«Chaque individu arrive chez nous avec un certain bagage et c'est évident que ça a un impact sur la suite des choses. [...] L'abus de substance, ses dépendances, son historique de maltraitance pendant son enfance et les problèmes de santé mentale», a-t-il exposé.

Liberté dangereuse

Paradoxalement, l'analyse des dossiers des criminels qui se sont suicidés lorsqu'ils se trouvaient dans la communauté (dans le cadre d'une libération conditionnelle ou d'une permission de sortie, par exemple) indique que la liberté elle-même peut être un facteur de risque.

Chez les criminels qui avaient quitté les murs d'un pénitencier, cette cause probable a été relevée dans un cas sur cinq.

Inquiétudes

Selon Serge Abergel, Service correctionnel Canada prend les grands moyens pour lutter contre le suicide et l'automutilation  des les prisons depuis 2010. Augmentation des patrouilles de sécurité, meilleure évaluation du profil de chaque détenu et formations perfectionnées sont notamment au programme.

«La priorité, c'est de préserver la vie. Ça se fait sur la gestion des délinquants et ça se fait aussi sur la gestion des infrastructures pour réduire les options, les occasions [pour se blesser ou se suicider]», a-t-il affirmé.

Mais selon la Société John Howard du Canada, organisation de défense des droits des détenus, les effets bénéfiques de ces efforts pourraient être réduits à cause de récentes décisions d'Ottawa.

«Les réductions budgétaires chez Service correctionnel Canada, accompagnées d'une hausse du nombre de détenus, créent des inquiétudes quant à la possibilité pour SCC de concrétiser sa Stratégie en santé mentale, a déclaré Catherine Latimer, directrice de l'organisation, à La Presse. La surpopulation dans les prisons pourrait bien créer encore plus de problèmes pour les détenus souffrant de dépression et réduire la capacité d'intervention de SCC.»

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Suicides en prison

55% aucun trouble psychologique diagnostiqué

18% un trouble psychologique diagnostiqué

28% deux troubles psychologiques diagnostiqués ou plus 

Événements déclencheurs

34% Détérioration de la santé mentale

58% Augmentation du stress

11% Déplacement 

17% Rupture amoureuse 

20% Toxicomanie

Source: Service correctionnel du Canada