Le drame familial de Warwick, au cours duquel Jocelyn Marcoux aurait tué ses enfants Lindsey et Karen avant de mettre fin à ses jours, met en évidence une réalité bien de notre époque: le besoin d'étaler ses frustrations, ses peines et ses cris de détresse sur Facebook. Mais ces appels aux amis virtuels sont-ils la bonne méthode pour obtenir réconfort et soutien?

M. Marcoux était engagé depuis sept ans dans une guérilla judiciaire avec son ex-conjointe quant à la garde de leurs enfants âgés de 11 et 13 ans. Il faisait face à une requête de la mère qui voulait les récupérer. Il en avait la garde depuis 2010.

Convaincu qu'il allait perdre la garde de ses enfants, il a publié une longue lettre sur Facebook quelques heures avant de commettre l'impensable. Une charge à fond de train contre le système judiciaire, son ex et le conjoint de celle-ci qu'il accusait de ne pas bien traiter ses enfants.

«Je me suis juré dans mon coeur de père que jamais plus mes enfants seraient maltraités; plus jamais, même avec la bénédiction d'un juge hypocrite! Pour les pères, bien, c'est officiel! Si tu te fais pas justice toi-même, bien tu auras jamais justice! Jamais, soyez-en bien sûrs, d'où tous les drames familiaux!», a-t-il écrit rageusement.

Dans les instants suivants, des amis Facebook de Marcoux ont cliqué sur le bouton «J'aime» au bas de la lettre ou écrit des commentaires.

«Lâche pas ton bout», a souligné l'un d'eux.

La mère aussi

De l'autre côté, le lendemain matin, la mère des enfants, qui habite la région de Québec, a fait cette alarmante publication sur sa page Facebook.

«Maudit je capote... Un incendie criminel à Warwick, deux enfants, un homme, rue Richardson... La police s'en vient me rencontrer. Les trois sont morts. J'espère que ce n'est pas moi... Je dois me rendre peut-être à l'évidence que oui.»

Plus tard, elle a déploré le fait que ce qui était dit à son sujet dans les médias n'était pas tout vrai.

De nouveau, plusieurs amis ont fait des commentaires, pour dire qu'ils la soutenaient, que le père était «un malade». Certains ont cliqué, encore, sur «J'aime».

Le psychologue Hubert Van Gijseghem est perplexe devant cet étalage de sentiments sur la place publique.

«Qu'est-ce que Facebook veut dire pour ces gens-là? Est-ce seulement un média par lequel ils communiquent superficiellement ou se mettent en scène? Ou est-ce quelque chose de plus profond, plus essentiel?», se questionne-t-il.

«On a un mode de vie qui ne favorise pas le temps et les échanges nécessaires dans notre vie quotidienne. On a trouvé une méthode pour répondre à ce besoin essentiel. Quand il nous arrive quelque chose, notre réflexe, c'est Facebook. Comme on décrochait le téléphone avant», avance Tamarha Pierce, enseignante du département de psychologie de l'Université Laval.

«Publier ça sur Facebook ne l'a clairement pas aidé [le père] à obtenir du soutien. Mais il faut dire que les parents qui commettent des filicides sont les trois quarts du temps aux prises avec un trouble mental. Ils sont dépressifs. C'est le motif le plus probable de son passage à l'acte. S'il a une forte envie de vengeance en plus, il peut passer à l'acte malgré tout le soutien qu'on peut lui offrir», analyse le Dr Van Gijseghem.

«Dans un contexte de situation stressante importante, la communication entre deux individus se passe avec le verbal, mais aussi le non-verbal, les expressions faciales. Sur Facebook, beaucoup d'informations nous échappent, donc, quant à la réelle détresse d'une personne. Et ceux qui réagissent aux états d'âme publiés sur Facebook le font de façon courte et très détachée. C'est une forme de soutien incomplète», indique la Dre Pierce.

Le cas de la mère étonne le Dr Van Gijseghem.

«Pour un parent, quand ses enfants meurent, c'est presque aussi grave que mourir soi-même. La plupart auraient attendu la police sur le seuil de porte plutôt que d'être sur l'internet. Mais il n'y a pas de réaction idéale, elles sont propres à chacun», souligne-t-il.

«Si 500 personnes cliquent sur "J'aime" après notre message, on a l'impression d'avoir 500 personnes derrière nous, mais qui ne comprennent pas. C'est l'illusion d'avoir une horde d'amis derrière nous. C'est un soutien très superficiel», ajoute la Dre Pierce.

«Mais on ne sait pas si, juste après, la personne qui a cliqué sur "J'aime" a téléphoné à la personne pour la réconforter de vive voix», nuance le psychologue Nicolas Chevrier.