«Lorsqu'on tire dans la tête de sa conjointe et qu'on masque la scène en suicide, on peut penser que le geste était planifié. Je vous demande un verdict de culpabilité.»

C'est sur cette note, après avoir demandé au jury d'utiliser son «gros bon sens», que le procureur de la Couronne Steve Magnan a conclu sa plaidoirie, jeudi après-midi, au procès du juge retraité Jacques Delisle.

L'homme de 77 ans est accusé du meurtre prémédité de sa femme, Marie-Nicole Rainville. La femme de 71 ans, paralysée du côté droit, est morte le matin du 12 novembre 2009, d'une balle à la tempe gauche, dans le condo qu'elle occupait avec son mari, à Sillery. M. Delisle, qui avait pris sa retraite de juge à la Cour d'appel six mois plus tôt, entretenait une liaison secrète avec sa secrétaire.

Selon Me Magnan, la mort brutale de la femme malade et handicapée «n'est clairement pas un suicide», comme le prétend la défense. Pour appuyer cette thèse, la défense a avancé des manières «loufoques» de tenir l'arme, à l'envers, par le canon, plutôt que d'une façon normale et ergonomique. Ces «chorégraphies», a suggéré Me Magnan, ont été avancées par l'expert en balistique de la défense, Vassili Swistounoff, parce qu'il fallait bien expliquer cette fameuse tache de fumée noire trouvée dans la paume gauche de la défunte. Elle ne pouvait avoir tiré de façon normale avec sa seule main valide et avoir cette tache.

Pour la Couronne, cette tache s'explique de façon limpide. Mme Rainville a mis sa main gauche à sa tempe gauche pour se protéger, quand son mari a fait feu sur elle, à bout touchant. Les gaz ont taché l'intérieur de sa main.

Trop faible

Par ailleurs, Me Magnan ne croit pas que Mme Rainville, qui revenait d'un long séjour à l'hôpital, car elle s'était cassé une hanche, et qui était partiellement paralysée, aurait eu la force de marcher une vingtaine de pieds avec sa marchette pour aller chercher le pistolet de calibre 22, sur la table d'entrée, et marcher 20 autres pieds pour venir se tuer sur le canapé, en tenant l'arme à l'envers, pendant que son mari était parti faire une course, le matin en question.

Le procureur estime en outre que l'attitude et les paroles de M. Delisle, le jour du drame, démontrent plutôt qu'il se justifiait et se forgeait un alibi. En voyant sa femme morte, il n'a pas cherché à lui porter secours. Il a plutôt pris l'arme par terre, a enlevé le chargeur, et a remis les deux pièces de l'arme à la même place, avant d'appeler le 911. Une attitude illogique, selon Me Magnan. L'accusé a ainsi essuyé l'arme, vu qu'aucune empreinte n'a été trouvée.

Mais il y a plus. Comment un homme qualifié d'intelligent, juge de surcroît, peut-il avoir laissé son pistolet chargé sur une table, alors qu'il a des petits-enfants qui viennent parfois à la maison et que sa femme est prétendument suicidaire? a demandé Me Magnan.

Le procureur convient que Mme Rainville était triste de son état, mais pas suicidaire. Pour étoffer cette théorie, la défense a «bricolé» des bouts d'histoires de cinq témoins, a fait valoir Me Magnan. L'avocat s'est particulièrement attaqué aux témoignages de Jean Delisle et d'Anne-Sophie Morency, respectivement fils et petite-fille de l'accusé et de la défunte. Me Magnan a trouvé ces témoignages bien semblables, rendus avec les mêmes mots, comme des «copier-coller». Le procureur a même dressé un tableau comparatif de leurs dires, pour le démontrer. Selon lui, Jean Delisle s'est rangé du côté de son père et est venu témoigner pour hausser la crédibilité de son père.

Me Magnan s'est ensuite attaqué à la crédibilité de l'expert en balistique de la défense, M. Swistounoff. Ce dernier s'est lui-même montré très critique à l'égard du travail des quatre experts de la Couronne, soit deux balisticiens, un pathologiste et une experte en projections de sang, qui avaient beaucoup plus d'expérience que lui.

En milieu d'après-midi, hier, les jurés ont été renvoyés et doivent retourner lundi, pour les directives du juge Claude Gagnon. Ce sera ensuite à eux de décider du sort de «l'autre juge», qui est maintenant à la place de l'accusé. Rappelons que M. Delisle est défendu par Me Jacques Larochelle, qui a pour sa part plaidé mercredi. L'accusé n'a pas témoigné.