On le cherchait en France, mais c'est plutôt dans un cybercafé de Berlin que s'est terminée la fuite du criminel le plus recherché de la planète. Après avoir traversé trois pays en dix jours, mobilisé Interpol et fait parler de lui dans le monde entier, Luka Rocco Magnotta a été démasqué pendant qu'il lisait placidement des articles à son sujet à un poste informatique. Il n'avait même pas pris la peine de se déguiser. Retour sur sa cavale.

«You got me (vous m'avez eu!)», aurait lancé aux policiers celui que l'on surnomme le «dépeceur» avant d'être emmené au poste, menottes aux poignets.

> En photos: Sur les traces de Magnotta à Berlin

Peu avant midi (heure de Berlin), c'est un Luka Rocco Magnotta à l'air calme et naturel qui est entré seul au cybercafé Spatkauf de la rue Karl-Marx, dans le quartier populaire de Neukölln. Vêtu d'un manteau noir, les yeux cachés par des lunettes fumées, le Canadien a demandé d'utiliser un ordinateur. L'employé lui a attribué le poste numéro 25. «Il a lu des articles et regardé des photos. Puis il a vu le journal avec sa photo et il s'est mis à le lire», a raconté à La Presse l'employé qui a refusé de révéler son nom.

Son collègue Kadir Anyalisi a alors reconnu le suspect. Il est sorti et a arrêté le premier véhicule de police qui passait. Sept agents vêtus d'uniformes kaki l'ont suivi dans le commerce pour interroger l'homme accusé du meurtre d'un étudiant chinois à Montréal. Magnotta aurait d'abord tenté de donner de faux noms avant d'admettre sa véritable identité. Des images de la caméra de surveillance du café le montrent à sa sortie, ménotté et marchant entre les agents. «Il n'a pas résisté», assure un porte-parole de la police de Berlin, Stefan Redlich. Il a été emmené en détention en attendant sa comparution devant un juge allemand.

Rapidement, un périmètre de sécurité a été installé autour du café. «Il y avait du ruban jaune et une dizaine de voitures de police. Des tas de gens prenaient des photos», raconte le Montréalais Jérémie Marcille, dont l'hôtel est situé juste à côté. De l'autre côté de l'océan, la nouvelle a été accueillie avec soulagement par les amis de la victime, Jun Lin. «Ça s'est fait vite. Maintenant, je veux savoir comment il a rencontré mon ami et pourquoi il l'a tué. Je veux la vérité», a confié l'un d'eux, qui a hâte de pouvoir regarder l'assassin allégué en face. «J'ai des blessures psychologiques qui seront difficiles à effacer.» L'ancien colocataire de la victime a tenu le même discours. «J'ai besoin de savoir pourquoi. Sinon, tout ça n'a aucun sens.»

À l'Université Concordia et au dépanneur où la victime travaillait, des gens sont venus porter des fleurs et des mots  lui rendant hommage,lundi .

Dix jours plus tôt, Magnotta passait la sécurité à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau avant d'embarquer, selon nos informations, sur le vol TS610 d'Air Transat à destination de Paris. Le torse démembré de sa victime alléguée ne devait être retrouvé que trois jours plus tard dans une ruelle du quartier Côte-des-Neiges, tout près de l'appartement où a eu lieu le crime. Une fois dans l'appareil, il s'est assis près d'un hublot, sur le siège 33A. Le passager voisin raconte qu'il avait l'air nerveux et sentait la sueur. Il n'aurait pas touché à son repas et aurait dormi durant une bonne partie du vol. Il serait même allé pleurer à l'arrière de l'appareil. «J'ai pensé qu'il ne se sentait pas bien», a dit le témoin.

Un mandat d'arrêt international a été lancé cinq jours plus tard, le 31 mai. Le Canadien de 29 ans est alors devenu l'un des hommes les plus recherchés de la planète. «Sa traque a mobilisé beaucoup, beaucoup de ressources ici et en Europe. C'est une des plus grosses chasses à l'homme auxquelles nous ayons eu affaire. Toutes les techniques auxquelles vous pensez, nous les avons utilisées pour le retrouver», affirme le commandant Ian Lafrenière, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). La police française a notamment utilisé le téléphone cellulaire de Magnotta pour le pister, avant de se rendre compte, selon des médias européens, que c'est un badaud qui avait en main l'appareil que l'homme avait abandonné dans le métro.

Des perquisitions ont aussi été effectuées dans un hôtel et un bistro de Paris. Le tenancier du Petit Batignolles a confié que le suspect avait bu un Coca-Cola avant de partir avec quelqu'un. Des sacs à vomissure et des revues pornographiques ont été trouvés dans sa chambre d'hôtel le 2 juin. À ce moment, Magnotta était déjà en Allemagne. Il aurait pris un autocar vers Berlin le 31 mai. Selon ce qu'a confirmé la police à des médias allemands, il aurait voyagé sous le nom de Tramell - celui de l'héroïne du film Basic Instincts qui tue son partenaire sexuel à coups de pic à glace.

Selon le consulat de Chine à Montréal, la famille de la victime fait des démarches afin d'obtenir les visas nécessaires pour venir au Canada. «Nous espérons qu'il sera traduit devant la justice canadienne rapidement pour que l'âme de Jun Lin puisse reposer en paix», a affirmé Xu Zheng, responsable Service de presse et politique. Le premier ministre Stephen Harper a pour sa part félicité les policiers pour leur coup de filet.

- Avec Isabelle Dubé