«Jacques est spécial. C'est un être assez froid et renfermé en lui-même. Il n'a pas d'empathie naturelle envers les gens. Mais avec sa femme, c'était différent.»

C'est, entre autres choses, ce que le juge retraité Jean-Louis Baudouin est venu dire ce matin, au procès de son ami et ex-collègue de la Cour d'appel Jacques Delisle. Ce dernier est accusé du meurtre prémédité de sa femme, Marie-Nicole Rainville. La femme de 71 ans, paralysée d'un côté, est morte d'un coup de feu à la tempe gauche le matin du 12 novembre 2009, dans l'appartement du couple, à Sillery.

M. Baudouin, qui a été une figure marquante du milieu juridique, a raconté qu'il avait connu M. Delisle en 1992, quand ce dernier a commencé à siéger à la Cour d'appel de Québec. M. Baudouin était pour sa part juge à la Cour d'appel de Montréal. Mais les juges vont siéger d'un endroit à l'autre, environ quatre fois par année. Le juge Baudouin et sa femme se sont liés d'amitié avec le M. Delisle et Mme Rainville. Les deux couples se recevaient mutuellement à dîner quatre ou cinq fois par année, a expliqué M. Baudouin. Ils aimaient la bonne chère et le bon vin.

M. Baudouin a décrit Mme Rainville comme une femme d'une très grande intelligence, extrêmement sympathique, excellente cuisinière, volubile et bien dans sa peau avant l'AVC qui l'a laissée paralysée du côté droit au printemps 2007. M. Baudouin se souvient que sa femme et lui sont allés la visiter en mai 2007 dans un centre de réadaptation de Québec. «J'avais l'impression qu'elle crânait, qu'elle voulait sortir de son état. Quand on a évoqué la possibilité qu'elle remarche, elle s'est mise à pleurer. Elle avait beaucoup de difficulté à marcher et faisait beaucoup d'efforts pour remarcher.»

Pas de progrès

M. Baudouin a revu Mme Rainville en juin; elle se désolait de ne pas faire de progrès. En 2008, les deux couples se sont vus à quelques reprises, notamment pour un repas chez M. Baudouin, où il y avait un grand escalier. «Elle marchait très mal, on l'a portée à bout de bras. On était intimidés. À un certain moment, Mme Rainville a dit que c'était la fin, qu'elle trouvait son état extrêmement difficile et qu'elle en perdait plutôt que faire des progrès. Elle avait réalisé que son état pratiquement définitif.»

Une autre fois, toujours en 2008, le couple Baudouin est allé souper chez le couple Delisle. C'est M. Delisle qui a tout fait, car Mme Rainville «était à peine mobile.» Selon son souvenir, M. Delisle devait déplacer sa femme lui-même jusqu'à un fauteuil ou jusqu'à son déambulateur et lui couper sa nourriture.

La dernière fois que M. Baudouin a vu Mme Rainville, c'était en 2009, lors d'un souper organisé par le juge en chef Michel Robert pour souligner le départ à la retraite de quatre juges (dont MM. Delisle et Baudouin). Cela se passait au Château Ramezay, à Montréal. «Je l'ai trouvée plus pessimiste», a raconté M. Baudouin. Mme Rainville ne jouait plus au bridge, passe-temps qu'elle aimait bien auparavant. M. Baudouin lui a dit qu'elle pourrait jouer malgré sa paralysie, en se servant d'un appareil. «C'est pas ça, c'est ça», a-t-elle répondu en se martelant la tête avec un doigt.

M. Baudouin l'a trouvée d'une humeur plutôt sombre, «plongée dans son intérieur». «Elle disait qu'elle ne pouvait aller plus loin et qu'elle ne goûtait plus rien.»

En ce qui concerne M. Delisle, son attitude a fait l'admiration de tout le monde, selon M. Baudouin. Malgré le handicap de sa femme, il l'emmenait à Montréal et essayait de l'intégrer dans «le milieu de la Cour d'appel», un petit monde d'une quarantaine de personnes, afin qu'elle puisse revivre de bons moments.

Selon M. Baudouin, M. Delisle  allait «au-devant des moindres désirs» de sa femme. Il a ensuite expliqué que M. Delisle était particulier, froid et sans empathie naturelle, mais qu'avec sa femme c'était différent.

Pas un criminaliste

En contre-interrogatoire, M. Baudouin a indiqué que le juge Delisle avait fait carrière dans le droit civil et le droit des assurances avant d'être juge. Le droit criminel n'était pas du tout sa spécialité.

Le procureur de la Couronne Steve Magnan a demandé au juge Baudouin combien de ses collègues gardaient des armes dans leur bureau. Il n'en connaît aucun.

M. Delisle, on le sait, soutient que l'arme qui a servi au suicide de sa femme lui a été donnée il y a de nombreuses années et qu'il l'a toujours gardée dans son bureau de la Cour d'appel, jusqu'à sa retraite, au printemps 2007. M. Baudouin ignorait que M. Delisle avait une arme dans son bureau, même s'ils ont souvent parlé d'armes et de chasse. M. Baudouin ignorait aussi que M. Delisle avait une liaison avec sa secrétaire. «Ce fut une surprise pour moi.»

Il est à noter que M. Baudouin est un témoin appelé par la défense. C'est parce qu'il ne sera pas disponible la semaine prochaine que la preuve de la Couronne a été momentanément suspendue, afin de le laisser témoigner. Le procès se poursuivra mardi prochain, avec la suite de la preuve de la Couronne.