Ce n'était pas la retraite que le juge Jacques Delisle avait imaginée. Le handicap de sa femme, séquelle d'un accident vasculaire cérébral, lui pesait. Le matin du drame, ils se sont querellés. «J'aurais pas dû m'énerver. Je me suis laissé emporter. Je lui ai dit: "Ça va-tu finir un jour?"»

C'est ce que le juge à la retraite Jacques Delisle a confié au policier Richard Lord, le matin du 12 novembre 2009, pendant que les ambulanciers s'apprêtaient à transporter à l'hôpital le corps de sa femme, Marie-Nicole Rainville. Au procès de M. Delisle, 77 ans, accusé du meurtre prémédité de sa femme, le policier a indiqué que l'homme avait les bras crispés en racontant cela, comme s'il prenait quelqu'un par les épaules. Mais M. Delisle a tout de suite ajouté: «Non, non, j'ai pas brassé ma femme, j'ai jamais fait ça de ma vie.»

M. Lord a expliqué qu'un peu plus tôt, il était sorti du condo où se trouvait toujours le corps de la victime pour offrir ses condoléances à M. Delisle, qui attendait dans un petit hall en compagnie d'un autre policier, Jean-François Bégin. Quelques instants plus tard, les ambulanciers sont passés devant eux avec le corps sur une civière. M. Delisle a remarqué que les ambulanciers faisaient des manoeuvres de réanimation, et il a demandé pourquoi. «Je lui ai dit: "On n'a pas le choix, tant que le décès n'a pas été constaté par un médecin." Il a semblé comprendre», a raconté le policier Richard Lord. Il se souvient que M. Delisle a ajouté: «Vous n'avez pas idée comment c'est dur de s'occuper de quelqu'un en perte d'autonomie. Avant, quand je voyais quelqu'un en chaise roulante, je ne pensais pas au fait que quelqu'un s'en occupait.»

Les volontés

M. Delisle a appelé le 911, vers 10h30 le matin du 12 novembre 2009, en disant que sa femme s'était «enlevé la vie». Les policiers Richard Lord et Jean-François Bégin sont arrivés les premiers sur les lieux. Ils ont demandé à M. Delisle de rester à l'extérieur de l'appartement, pour ne pas ajouter à son épreuve. Mme Rainville était étendue sur le sofa du salon, la tête sur un oreiller. Mme Rainville avait un trou de 3 cm à la tempe gauche, il y avait du sang. Elle n'avait aucun signe vital, elle était froide, mais la rigidité cadavérique n'était pas encore installée. Elle avait les yeux fermés, la bouche ouverte, et il y avait du sang coagulé sur sa langue. Son bras droit était replié sur sa poitrine. (Elle était paralysée complètement du côté droit.) Son bras gauche pendait le long du sofa. Tout près, par terre, il y avait une arme en deux parties. M. Delisle a dit aux policiers qu'il avait trouvé sa femme ainsi en revenant de chez Rozette (une épicerie fine), et que c'est lui qui avait enlevé le chargeur de l'arme, pour la sécuriser. Il a aussi précisé que ce pistolet de calibre 22 lui avait été offert de nombreuses années auparavant, quand il chassait les oiseaux migrateurs. Quand il était juge, il gardait l'arme dans son bureau, à son travail. Il l'avait apportée à la maison à sa retraite, quelques mois auparavant. Elle avait toujours été chargée, et il ne l'avait jamais enregistrée au Registre des armes à feu. Il la gardait dans sa boîte, sur une table, à l'entrée du condo.

M. Delisle ne voulait pas que des manoeuvres de réanimation soient faites sur sa femme, ont raconté des témoins policiers et un ambulancier, hier. Il l'a souligné sur place, et une fois rendu à l'hôpital. C'était «les volontés» de sa femme, a-t-il dit. Malgré cela, les premiers répondants n'ont ménagé aucun effort pour sauver la femme: succion du sang des voies respiratoires, intubation, massages cardiaques...

En voyant la civière, M. Delisle a demandé si elle était vivante, a raconté l'ambulancier Maxime Robitaille-Fortin. «Je n'ai pas répondu, mais un policier a répondu: "On fait tout ce qu'on peut."» L'ambulancier se souvient d'être entré dans l'ascenseur avec la civière, pour se diriger vers l'hôpital. Au moment où les portes se refermaient, «le monsieur [Delisle] a dit que la dame en voulait pas, de réanimation». Selon les témoins policiers entendus hier, M. Delisle était calme, mais émotif. Il était aussi sous le choc. Et il tremblait à un certain moment. En contre-interrogatoire, Me Jacques Larochelle a suggéré que M. Delisle se maîtrisait.

Le procès se poursuit aujourd'hui au palais de justice de Québec.