Dans une cause criminelle, lorsqu'il y a une partie de bras de fer, elle se déroule généralement entre la poursuite et la défense. Or, ces jours-ci, au palais de justice de Montréal, une joute particulièrement musclée a lieu entre la poursuite et... le juge coordonnateur adjoint du district de Montréal, Jean-Pierre Boyer.

Mardi, le juge de la Cour du Québec s'est en quelque sorte attribué la victoire à l'issue de la première manche, en refusant de se récuser pour cause de partialité comme le demandait la poursuite.

Qu'à cela ne tienne: la poursuite s'est immédiatement tournée vers la Cour supérieure pour le forcer à se retirer du dossier. Il est rare que la Couronne présente une telle requête contre un juge.

Conférence préparatoire

En toile de fond, la cause de Mario Thouin, prétendu fraudeur qui recrutait ses victimes, des femmes âgées, dans les petites annonces de la revue Le Bel Âge.

Lors d'une conférence préparatoire tenue devant le juge Boyer en mars dernier, l'avocat de l'accusé, Me Gilles Daudelin, a annoncé que son client voulait plaider coupable ultérieurement.

Me Daudelin a alors révélé le contenu de négociations entre la poursuite et la défense. L'avocat de la défense se plaignait du fait que la poursuite avait d'abord indiqué son intention de réclamer 6 ans de prison pour finalement durcir le ton et en réclamer 12.

Le juge Boyer a ensuite posé des questions au procureur, Me Dennis Galiatsatos, à ce sujet. Mais ce dernier a estimé que le juge n'avait pas à le questionner sur des pourparlers entre avocats quant à un règlement éventuel. Le ton s'est envenimé et le juge a qualifié l'attitude du procureur «d'inacceptable» en le menaçant de s'en plaindre à son supérieur.

Cela contrevient au devoir d'objectivité et d'impartialité d'un juge, selon Me Geneviève Dagenais, qui a plaidé la requête en récusation.

Autre sujet de discorde: Me Galiatsatos a indiqué son intention de faire entendre les cinq victimes de Thouin au moment des plaidoiries sur la peine. Or, le juge a trouvé «illogique» de réclamer toute une journée pour entendre les victimes, alors que l'enquête préliminaire avait été très courte. La poursuite y a perçu un «désintérêt pour leur témoignage alors que celles-ci ont subi d'importants traumatismes».

Hier, le juge Boyer a rejeté tous ces arguments d'un revers de main et s'est dit prêt à recevoir la reconnaissance de culpabilité de l'accusé. Dans les minutes qui ont suivi, la poursuite s'est tournée vers la Cour supérieure. Cela a eu pour effet de mettre la cause en suspens. Mario Thouin a donc repris le chemin des cellules sans être fixé sur son sort.