Pour mener ses affaires, le clan pégreux qui s'est infiltré dans le nettoyage de graffitis à Montréal a pu compter sur les services d'un notaire engagé en politique, a appris La Presse.

Me Francis-Pierre Rémillard a été candidat conservateur et organisateur de l'Action démocratique du Québec (ADQ) en Montérégie. Il est devenu le principal notaire de diverses entreprises associées au gang de l'Ouest de 2007 à 2010, acceptant même de signer des actes hypothécaires à des taux d'intérêt de 59,8%.

La Presse a révélé jeudi qu'un clan du gang de l'Ouest avait pris le contrôle de l'entreprise d'effacement de graffitis AV-NET, qui a plusieurs contrats municipaux. Selon la Sûreté du Québec (SQ), AV-NET a été extorquée à son ancien propriétaire en remboursement d'un prêt usuraire.

«Le prêteur menaçait de faire sauter la baraque et de lui donner une volée s'il ne payait pas», a expliqué un policier de la SQ.

Vingtaine de transactions

Le prêt usuraire avait été accordé par les firmes Suntrust et Majji, selon la preuve. La police associe ces firmes au gang de l'Ouest et à l'un de ses proches, John McKenzie.

Entre 2007 et 2010, Suntrust et Majji avaient Francis-Pierre Rémillard comme principal notaire. Me Rémillard a signé une vingtaine de transactions pour ce groupe.

Francis-Pierre Rémillard a été candidat du Parti conservateur aux élections de 2004 dans Verchères-Les Patriotes, en Montérégie. Il avait commencé à faire de la politique en 2002 à titre de vice-président du comité exécutif de l'ADQ dans la circonscription de La Pinière et organisateur politique du candidat aux élections provinciales de 2003.

Il a agi à titre de notaire pour le clan McKenzie, mais aussi pour les parents de John McKenzie, en 2008. C'est lui qui a signé l'acte hypothécaire pour le refinancement de leur maison, à Laval. Le père de John, feu James Patrick McKenzie, était lui aussi fiché par la police comme associé du gang de l'Ouest.

Ce gang est une organisation criminelle à prédominance irlandaise. Il s'est fait connaître pour le braquage de camions blindés et pour l'importation de drogue via le port de Montréal.

En plus d'AV-NET, le clan McKenzie a fait main basse sur le Pub O'Neill, à Rosemère, selon ce qu'a raconté l'agent de la SQ à la Régie des alcools. Il y a un autre Pub O'Neill à Saint-Eustache, qui lui appartient également.

Joint au téléphone, Francis-Pierre Rémillard ne voit rien de répréhensible à ses actes. Il affirme être devenu le notaire du groupe après un litige qu'ont eu Suntrust «et son dirigeant», John McKenzie, avec la notaire précédente, Sophie Jolicoeur.

Il reconnaît avoir signé des hypothèques au taux de 59,8%. Il soutient toutefois qu'il ne s'agit pas du taux réellement imposé aux emprunteurs, qu'il s'agit d'un maximum. Le vrai taux a été inscrit ailleurs dans une convention confidentielle et se situerait plutôt entre 15 et 36%, dit-il.

Les deux actes où est inscrit le taux de 59,8% sont pourtant clairs: «Jusqu'au complet remboursement, la somme prêtée portera intérêt au taux de 59,8%, calculée semestriellement.» De plus, les deux actes mentionnent expressément les versements mensuels.

Par ailleurs, la mention «calculée semestriellement» ramène le taux annuel réellement exigé à 68,7%, ce qui excède le taux usuraire de 60% interdit par le Code criminel. «La mention "calculée semestriellement" est une erreur sur l'acte», se défend aujourd'hui Me Rémillard.

Radiation de 18 mois

Fait à préciser, la notaire qui a précédé Me Rémillard pour Suntrust, Sophie Jolicoeur, est sous le coup d'une radiation de 18 mois. Selon la preuve, son compte en fidéicommis a servi de boîte postale pour des transactions de 4 millions de dollars, ce qui ouvre la porte à la fraude fiscale et au blanchiment d'argent, souligne le conseil de discipline de la Chambre des notaires.

L'enquêteur de la SQ dans l'affaire AV-NET, Dominique Alain, est catégorique: «Depuis 2000, les choses ont changé dans le monde du prêt. Souvent, le crime organisé s'entoure de facilitateurs - des notaires, ce type de professionnels - qui permettent d'avoir des garanties juridiques. Donc, si la personne ne paye pas, il y a un contrat notarié pour saisir ou mettre une hypothèque légale sur ces biens-là», a-t-il dit devant un tribunal.