Même si son associé mafieux vient d'être assassiné et qu'il a eu recours aux services d'un blanchisseur d'argent pour installer son bar chez un lieutenant du clan Rizzuto, un tenancier de Montréal-Nord a réussi, pour le moment, à se distancier suffisamment du crime organisé pour conserver son permis d'alcool.

Dans un jugement daté du 29 février, la Régie des alcools se dit satisfaite de la «preuve d'intégrité» du nouveau tenancier du Bar Chantal. Elle conclut qu'il n'existe «aucune preuve reliant (le tenancier) au milieu criminalisé».

Les policiers et régisseurs mènent toujours des vérifications extrêmement pointues pour s'assurer que les tenanciers ne sont reliés ni de près, ni de loin au crime organisé. «Dans des dossiers comme ça, bien entendu, tout lien possible avec des organisations criminelles est toujours scruté à la loupe», insiste le lieutenant Ian Lafrenière, porte-parole du SPVM.

Le nouveau tenancier du Bar Chantal a montré patte blanche jusqu'ici, mais les services administratifs de la régie ont été chargés d'assurer un suivi dans son dossier.

Paul Cerasuolo, a acquis l'entreprise du boulevard Gouin Est en juillet dernier. Directeur du développement chez Saputo, père de deux enfants, il a dit vouloir se garantir une source de revenus alternative en cas d'imprévu. Travaillant sur la route avec un horaire flexible, il dit avoir beaucoup de temps à consacrer au Bar Chantal.

Assassinat d'un associé

M. Cerasuolo n'a toutefois jamais parlé devant la Régie de sa troisième source de revenus.

Selon nos recherches, il possède aussi l'entreprise Les Distributions alimentaires Fricers, laquelle est enregistrée à sa maison de Laval. Un des deux autres administrateurs de la société était le mafioso Giuseppe Colapelle, arrêté dans la deuxième vague de l'opération antimafia Colisée.

Leur partenariat a pris fin le 1er mars dernier, quand Colapelle a été assassiné à Saint-Léonard.

Par ailleurs, des documents fonciers consultés par La Presse démontrent que la moitié de l'immeuble où loge le Bar Chantal, au 4792 boulevard Gouin Est, a été achetée en 2010 par l'épouse de Lorenzo Giordano, un des lieutenants les plus craints du clan Rizzuto, qui purge une peine de 15 ans de prison.

Récemment, dans le dossier du bar Moomba, une experte de la police de Laval s'est inquiétée du fait que le responsable de l'entretien avait des liens avec ce même Giordano. Les balayeurs pouvaient aider la mafia à garder un oeil sur l'établissement, expliquait-elle.

Dans le cas du Bar Chantal, les régisseurs chargés d'octroyer les permis d'alcool n'ont jamais été informés que l'établissement loge dans une propriété de la conjointe de Giordano depuis plus de deux ans.

Des reproches

Paul Cerasuolo a bien eu à s'expliquer au sujet d'épisodes de tapage et de trafic de stupéfiants. De petits trafiquants avaient été arrêtés au Bar Chantal sous l'ancienne administration. M. Cerasuolo a assuré la régie qu'il pratique maintenant la tolérance zéro en la matière.

Les policiers lui ont aussi reproché sa source de financement. Pour acheter la compagnie et les actifs du bar, il a contracté un emprunt auprès de Tony Cafaro, un blanchisseur d'argent ayant des antécédents de vol, de recel et fabrication de faux documents.

M. Cerasuolo, qui dit avoir rencontré M. Cafaro au cours d'une foire commerciale dans le cadre son travail, s'est engagé à chercher une nouvelle source de financement, ce qui a satisfait la Régie. Elle lui a imposé une suspension de permis de 15 jours pour les manquements passés, et le laisse poursuivre ses activités pour le moment.

«M. Cerasuolo a démontré qu'il était un honnête citoyen et un bon père de famille», écrit la Régie dans son jugement.

Le tenancier n'a pas retourné hier nos messages laissés à son bureau et à sa résidence.