Le Barreau du Québec a eu raison de réprimander l'avocat Gilles Doré pour une lettre incendiaire envoyée au juge Jean-Guy Boilard en 2001, estime la Cour suprême du Canada.

Dans une décision unanime, les juges du plus haut tribunal du pays ont rejeté l'appel de Me Doré, qui s'est fait connaître dans sa défense des motards dans les mégaprocès. C'est lui qui a été sauvagement battu devant son domicile d'Outremont, il y a quelques mois.

Réagissant à des critiques sévères faites par le juge Boilard à son égard, Gilles Doré avait répondu par une lettre envoyée directement au juge, dans laquelle il l'avait attaqué sans ménagement.

En 2003, le Comité de discipline du Barreau du Québec lui avait imposé une suspension de 21 jours pour manquement à ses obligations déontologiques d'«objectivité, de modération et de dignité».

Le juge Boilard s'était quant à lui récusé du mégaprocès des motards, entraînant son avortement, après s'être fait blâmer par le Conseil de la magistrature canadienne dans cette affaire.

Gilles Doré a contesté la décision du comité de discipline devant trois instances avant de porter la cause devant la Cour suprême. Il a perdu chaque fois. Selon lui, cette décision contrevenait à son droit à la liberté d'expression, garantie par la Charte canadienne.

À son tour, la Cour suprême a rejeté ses prétentions. «La décision du Comité de discipline de réprimander l'avocat a établi un juste équilibre, soit un équilibre proportionné, entre son mandat - qui consiste à garantir que les avocats agissent avec objectivité, modération et dignité - et le droit de l'avocat concerné à la libre expression», a écrit la juge Rosalie Abella.

«Un avocat qui critique un juge ou le système judiciaire n'est pas automatiquement passible d'une réprimande, a précisé la juge. Une telle critique, même exprimée sans ménagement, peut être constructive.»

Mais selon la Cour, l'avocat criminaliste de Montréal était tout simplement allé trop loin. «À la lumière du degré excessif de vitupération dans le contenu de la lettre et de son ton, on ne peut prétendre que (la décision du comité) est le fruit d'une mise en balance déraisonnable du droit à la liberté d'expression de Me Doré, d'une part, et des objectifs visés par la loi, d'autre part.»

Il n'a pas mâché ses mots

Il est vrai que l'avocat n'avait pas mâché ses mots dans sa lettre du 21 juin 2001, envoyée «d'homme à homme, hors du circuit de ma profession et de vos fonctions».

«Si votre incapacité chronique à maîtriser quelque aptitude sociale («social skills» vous qui aimez tant l'anglais) vous a emmené à adopter un comportement pédant, hargneux et mesquin dans votre vie de tous les jours, peu m'importe; cela semble après tout vous convenir», a-t-il écrit.

«Si toutefois, délibérément, vous importez ces traits de caractère dans l'exercice de votre magistrature et que vous en faites votre marque de commerce, cela m'importe beaucoup et il me semble approprié de vous en faire part.»

Il avait poursuivi en remettant en question les «connaissances juridiques» du juge, de même que son manque de jugement.

C'est une décision écrite rendue le même jour par le juge Boilard, entre autres, qui avait ainsi fait sortir l'avocat criminaliste de ses gonds. Le magistrat l'avait accusé de faire de la «rhétorique ronflante et de l'hyperbole», lui avait indiqué que la cour devait «mettre de côté» son «outrecuidance». Il avait qualifié une requête de Me Doré de «tout à fait ridicule» et taxé l'un de ses arguments d'«argutie sans fondement».