Elle est visqueuse, salissante et son odeur est nauséabonde. Pourtant, les voleurs se l'arrachent. Partout en Amérique du Nord, l'huile de cuisson usée qu'on trouve dans des conteneurs à l'arrière des restaurants est l'objet d'une importante vague de vols à laquelle le Québec n'échappe pas.

Joints par La Presse, plusieurs recycleurs d'huiles usées ont confirmé ce phénomène. «C'est très sérieux. Nous estimons que nous perdons environ 20% de notre volume aux mains de voleurs», dit Pascal Demers, directeur des ventes de Sanimax, un des plus importants recycleurs d'huiles de cuisson au Québec.

«C'est un gros fléau. Il suffit aux voleurs de posséder une camionnette avec deux ou trois barils vides et le tour est joué», ajoute Louis Michaud, de l'entreprise Restaurec.

50 cents le kilo

Pendant des années, les restaurateurs devaient payer les entreprises de recyclage pour qu'elles récupèrent leur huile de cuisson usée. Mais l'essor du biodiesel, produit en grande partie avec de l'huile usée, a fait quadrupler sa valeur; ce sont maintenant les recycleurs qui versent une ristourne aux restaurateurs pour chaque conteneur récupéré. «Une fois revalorisée, cette huile vaut environ 50 cents le kilo, alors qu'elle valait 15 cents il y a quelques années», précise Guy Lussier, de la compagnie d'équarrissage Rothsay Laurenco.

L'explosion des prix est devenue une manne pour les voleurs. D'autant que les conteneurs de graisse, souvent situés à l'arrière des restaurants, sont rarement surveillés. Le plus souvent, ils sont protégés uniquement par des cadenas. «Ça prend parfois plusieurs jours avant que nos clients se rendent compte qu'ils se sont fait voler. Ils le comprennent quand nous leur envoyons leur chèque et que le montant ne correspond pas à ce qu'ils attendaient», indique M. Lussier.

Des recycleurs de plus grande envergure s'accusent aussi de se voler mutuellement de l'huile chez leurs clients. Sanimax a notamment intenté une poursuite contre BPEC, un acteur moins important, qu'elle accuse d'avoir siphonné des stocks importants dans des restaurants situés à Saint-Hubert de Candiac, Beloeil et Saint-Hyacinthe. «Depuis les trois dernières années, Sanimax harcèle mon entreprise, rétorque Bobby Skotidakis, directeur de BPEC. Ils n'aiment pas que je leur fasse concurrence. Alors ils ont trouvé le moyen de me pénaliser en intentant des poursuites contre moi.»

Propriété abandonnée

Aux États-Unis, où une vague de vols semblable sévit aussi, les présumés voleurs arrivent souvent à s'en tirer en affirmant que les huiles prises derrière les restaurants sont des déchets sans valeur. L'avocat Jon Jawaorski, surnommé «The Grease Lawyer», a gagné une quinzaine de causes en plaidant que l'identité de leur propriétaire n'était pas clairement indiquée sur les conteneurs. «J'ai eu une centaine de causes qui ont été rejetées d'emblée parce que les restaurateurs traitent leur huile comme une propriété abandonnée.»

Au cours des derniers mois, les États de la Californie, de la Virginie et de la Caroline-du-Nord ont adopté des lois donnant aux huiles usées un statut spécial pour prévenir leur vol. Dans la région montréalaise, les policiers semblent faire peu de cas du problème. Le SPVM et la police de Laval ont dit à La Presse ne pas être au courant du phénomène.

«Pour les policiers, ce n'est pas une priorité, déplore Pascal Demers. Ils ont d'autres dossiers à traiter avant de s'occuper du vol de graisse. D'une certaine façon, c'est perçu comme un simple vol de déchets.»