Deux agents de la police de Montréal ont tiré trois coups de feu vendredi après-midi à la station de métro Bonaventure, au centre-ville. Un sans-abri âgé de 34 ans a perdu la vie dans cette fusillade.

>>> Voyez les images qu'ont capté nos photographes près de la station de métro Bonaventure.

Quelques minutes auparavant, l'un des deux policiers avait été blessé par une arme blanche. «Il a subi des lacérations», a confirmé Daniel Thibodeau, porte-parole de la Sûreté du Québec, refusant toutefois de préciser de quel type d'arme il s'agissait. La SQ s'est d'ailleurs vu confier l'enquête par le ministre de la Sécurité publique Robert Dutil «afin d'en assurer l'impartialité».

Des témoins ont raconté à La Presse que, un peu avant 14h, les deux agents ont ordonné à un homme de se coucher au sol. On ignore pour quelles raisons les policiers ont décidé de l'interpeller. Ce dernier avait l'allure d'un sans-abri et tenait un discours décousu. Malgré l'arme pointée vers lui, l'homme a ignoré les policiers et a tenté de prendre la fuite en s'approchant de l'escalier mécanique qui mène à la sortie de la rue de la Cathédrale. Les agents l'ont pris en chasse avant de tirer.

Carl Nantel, qui venait tout juste de passer le guichet du métro, a vu une partie de la scène. «On venait de payer, a-t-il raconté. On s'est alors retrouvés entre les policiers et l'homme. Un policier a sorti sa matraque, l'autre a sorti son fusil. Ils nous ont dit de nous déplacer et l'homme en a profité pour essayer de s'enfuir.»

Poursuite

Une employée de la gare Windsor, qui préfère garder l'anonymat, a aussi assisté aux derniers moments de l'homme. «Je marchais avec deux collègues dans le couloir de la station Bonaventure. Tout à coup, on a vu deux policiers qui suivaient un homme. L'un d'eux avait sorti son arme, et j'ai eu son fusil pointé vers moi. J'ai pensé: ça doit être des balles de caoutchouc, ça ne doit pas être un vrai gun.»

Un de ses collègues se souvient d'avoir d'abord entendu les policiers crier dans le couloir bondé. Ils marchaient rapidement derrière l'homme. «Le policier le plus à gauche tenait dans sa main droite un pistolet noir et dans sa main gauche une matraque. La main qui tenait le pistolet était posée sur l'autre, en position de tir», a-t-il dit.

Le deuxième policier était derrière son partenaire, mais il n'avait pas son arme en main. «Il était blessé, a souligné la dame. Quand il est passé à côté de moi, j'ai vu qu'il y avait du sang dans son cou et sur le col de sa chemise.»

«J'ai entendu trois coups de feu, a dit l'employée. Mes collègues et moi, on s'est regardés sans y croire. On se disait qu'ils n'allaient pas tirer alors qu'il y avait plein de monde dans le métro.»

L'homme a reçu au moins un projectile au haut du corps. Il a rapidement été transporté à l'hôpital, de même que les deux policiers, l'un pour soigner ses coupures, l'autre pour traiter un choc nerveux.

Un large périmètre de sécurité a été établi au centre-ville. La Société de transport de Montréal a interrompu le service pendant quelques heures sur la ligne orange entre les stations Berri-UQAM et Lionel-Groulx. Jusqu'à sa fermeture hier soir, le métro ne s'est pas arrêté à la station Bonaventure, considérée comme une scène de crime.

Un sans-papiers

La victime de la fusillade ne portait aucune pièce d'identité sur elle. Les policiers ont utilisé ses empreintes digitales pour confirmer son identité. Quelques minutes avant le drame, elle se comportait «bizarrement».

L'homme marchait en marmonnant, l'air de demander, selon l'employée de la gare Windsor, qu'on lui fiche la paix. «On ne comprenait pas trop ce qu'il disait», a-t-elle rapporté. Son collègue se souvient d'avoir entendu crier les policiers. «Je ne comprenais pas ce qu'ils disaient, mais ça semblait être «get down, get down».»

«L'homme avait l'air de serrer quelque chose dans sa poche, a ajouté la dame. Il avait plié quelque chose en deux avant de la glisser dans sa poche... Il avait l'air très nonchalant. On pensait que les policiers étaient en train d'accompagner un sans-abri jusqu'à ce qu'on voie l'arme, dit-elle. Il avait l'air d'un sans-abri. Je dirais qu'il avait une quarantaine d'années. Il avait l'air dérangé - normalement, quand deux policiers armés nous suivent, on ne réagit pas comme ça...»

«Après les coups de feu, un paquet de gens se sont rués vers les escaliers pour voir ce qui se passait, se souvient la dame, encore tout étonnée. Ils sont carrément allés vers les coups de feu!»

***

Problèmes passés entre policiers et sans-abri

> Le 6 juin 2011, un sans-abri et un passant (qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment) ont perdu la vie sous les balles d'agents de la police de Montréal (SPVM). Le sans-abri avait menacé les agents avec un couteau. Quatre mois et demi plus tard, la Sûreté du Québec (SQ) a remis son rapport d'enquête au Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec. Son contenu n'a toujours pas été dévoilé.

> Le 26 avril 2009, un homme atteint de troubles mentaux muni d'un petit couteau à steak a reçu au moins trois balles, qui lui ont fait perdre un rein et une partie du foie. Sa mère, qui réside à LaSalle, a dénoncé le manque de formation des policiers auprès des gens atteints de maladie mentale. Après avoir fait enquête sur l'incident, la SQ n'a adressé aucun reproche aux policiers de Montréal.

> En août dernier, la Cour supérieure a conclu qu'un agent du SPVM avait utilisé une «force excessive» pour maîtriser le sans-abri Jean-Pierre Lizotte. Douze ans plus tôt, ce dernier avait reçu des coups de poing alors qu'il résistait à son arrestation devant le Shed Café, sur le boulevard Saint-Laurent. L'infirmière au triage n'en avait pas été informée. Lizotte, resté paralysé, est mort d'une pneumonie quelques semaines plus tard.

> Plus de la moitié de la quarantaine d'organismes d'aide aux sans-abri de Montréal estiment que les rapports entre leurs protégés et les policiers sont mauvais, d'après le rapport Portrait de la situation dans l'espace public et de la judiciarisation publié l'été dernier par le Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal.

- Marie-Claude Malboeuf