La police ignore toujours qui a pu battre aussi sauvagement l'avocat criminaliste Gilles Doré.

Dans le milieu, les gens tiennent pour acquis que l'agression est liée au dossier des Hells Angels découlant de l'opération SharQc, même si on en ignore les raisons. Les enquêteurs du Service de police de la Ville de Montréal ont rencontré l'avocat hier, mais des sources policières indiquent que l'entretien n'a pas permis de faire avancer le dossier, ni d'amasser de nouvelles informations sur l'affaire.

L'avocat de la défense, qui a beaucoup exercé en droit carcéral, est connu pour avoir le verbe haut et ne pas se gêner pour livrer ses états d'âme - souvent par lettres.

Et encore une fois, une lettre qu'il a envoyée à un juge vient tout juste de lui causer un embarras.

La Cour suprême du Canada délibère actuellement sur la légalité de la radiation de trois semaines qui lui a été infligée par le Barreau du Québec pour une lettre incendiaire envoyée au juge Jean-Guy Boilard, il y a plus de 10 ans.

Mais cela n'a pas empêché Me Doré d'envoyer, le 30 septembre, une lettre critique au juge James Brunton, qui gère l'ensemble des dossiers découlant de l'opération SharQc, et qui a résulté en l'arrestation de 111 Hells Angels et quelques associés.

L'avocat de 58 ans commence par dire son grand respect pour le juge, mais se plaint en termes enrobés des «sautes d'humeur» du juge, «dirigées presque exclusivement» vers les avocats des motards, selon lui.

Ces manifestations d'impatience du juge peuvent miner la confiance des accusés envers le processus, ajoute-t-il. «Nos clients ne sont pas dupes», dit-il: ils sont à même de constater que ces «épisodes» semblent dirigés surtout vers la défense, affirme-t-il.

L'avocat ajoute qu'ils ont peur de faire les frais de «l'inimitié manifestée sèchement» par le juge envers les avocats et lui demande de «rajuster le tir» afin de préserver leur droit à un procès équitable.

La lettre, très inusitée, a été envoyée également à l'avocate de la poursuite Madeleine Giauque. L'avocat Doré a demandé une rencontre avec le juge et Me Giauque. Le juge a refusé. Il a déposé la lettre le 18 octobre. Plusieurs collègues de la défense étaient stupéfaits: la lettre était une initiative personnelle et ils en apprenaient l'existence.

Le juge Brunton a interprété la lettre comme la preuve de sa rigueur dans la gestion du dossier et n'en a pas fait davantage de cas.

Mais la semaine suivante, Me Doré a demandé à s'adresser à la Cour. Il a dit qu'on lui a communiqué «un malaise profond suscité chez les accusés qui craignent d'être associés au contenu de [sa] missive alors qu'en réalité, tel n'est absolument pas le cas».

L'avocat a alors présenté ses excuses et répété n'avoir consulté personne avant d'écrire sa lettre.

Les gens proches du dossier disent que si l'anecdote révèle le caractère impétueux de cet avocat, cela n'a rien à voir avec l'agression.

Quoi alors? Mystère.

On arrive à un moment critique du dossier, alors que des procès vont commencer et que des dizaines d'accusés sont en attente. La tension et la complexité de ce dossier, le plus lourd des annales, n'en sont qu'exacerbées.

- Avec Daphné Cameron