Un ancien bénévole de l'Association des Grands Frères et Grandes Soeurs de Montréal a pu échapper à la justice pendant 30 ans même si les responsables de l'organisme savaient dès 1980 qu'il était pédophile et avait agressé un des enfants qu'on lui avait confié.

Claude St-Jean, 79 ans, de Saint-Mathias-sur-Richelieu, s'est présenté avec ses valises au palais de justice de Valleyfield, hier. En juin dernier, il s'était avoué coupable d'agression sexuelle sur Charles Lafrance, l'enfant à qui il avait été jumelé à la fin des années 70 à titre de «grand frère» bénévole. Condamné à 20 mois de prison, il a finalement pris le chemin des cellules.

«On a beau me répéter que c'est une victoire, mais 20 mois, il me semble que c'est très peu pour ce qu'il a fait à moi et à ma famille», a déploré Charles Lafrance, aujourd'hui âgé de 45 ans.

M. Lafrance avait 10 ans lorsque son père est mort, en 1977. Sa mère avait pris contact avec l'Association des Grands Frères et Grandes Soeurs afin de lui trouver un nouveau modèle masculin. L'organisme l'avait jumelé à Claude St-Jean.

Le bénévole a vite commencé à l'agresser sexuellement. La situation a duré des années. Selon M. Lafrance, son «grand frère» lui demandait de ne pas en parler à sa mère puisqu'il s'agissait «d'histoires de gars».

Aux alentours de 1979-1980, l'Association a été mise au courant des sévices sexuels. Elle a cessé d'utiliser les services de St-Jean. Elle a même fait état de la situation dans des documents internes. Mais aucune plainte n'a été déposée à la police.

«Inquiétant»

«Ils avaient été mis au courant, mais ça ne s'est jamais ramassé dans un poste de police quelconque. C'est inquiétant», affirme Me Pierre-Olivier Gagnon, le procureur de la Couronne qui vient de faire condamner St-Jean.

Charles Lafrance, lui, dit avoir ensuite vécu une véritable descente aux enfers. Il affirme avoir consommé de la drogue dès l'âge de 13 ans, à partir du moment où les agressions sexuelles ont cessé. Il s'est révélé incapable de finir son secondaire. Il consommait des drogues dures pour «geler ses émotions» et était incapable d'occuper un emploi.

«J'ai 25 ans de consommation de cocaïne en arrière de la cravate, ça laisse des séquelles», dit-il.

Encore aujourd'hui, il est incapable de faire confiance à autrui, «ce qui rend quasi impossible toute forme de relations interpersonnelles et amoureuses saines», selon une requête présentée en cour par ses avocats.

En 2009, au terme d'une thérapie, il dit avoir compris que ses difficultés découlaient des agressions subies dans son enfance. «Je n'avais jamais fait le lien avant», dit-il.

Un intervenant le convainc alors de porter plainte à la police contre son agresseur.

«À ma grande surprise, il était encore en vie, alors que je le croyais enterré depuis longtemps», dit-il.

Tout déboule ensuite. La Sûreté du Québec a pris le dossier en charge. Selon Me Gagnon, les agents ont saisi à l'Association des Grands Frères un rapport faisant état du comportement de St-Jean. La Couronne n'a pas eu à le déposer en preuve, puisque l'agresseur a avoué ses crimes et accepté de plaider coupable après avoir été arrêté, même s'il disait avoir du mal à se souvenir des faits.

Charles Lafrance poursuit maintenant son agresseur et l'Association des Grands Frères et Grandes Soeurs de Montréal. Il leur réclame 1 million de dollars en dommages.

La directrice de l'organisme, Ginette Sauvé, s'est limitée dans ses commentaires hier puisque la cause est devant les tribunaux.

Elle affirme toutefois avoir fait des vérifications dans les archives de l'époque. Selon elle, le dossier avait été envoyé à la Direction de la protection de la jeunesse. «C'étaient les instances auxquelles nous devions nous rapporter à ce moment-là», explique-t-elle.

Mme Sauvé ne peut pas dire pourquoi aucune accusation n'a découlé de ce signalement à l'époque.

«Nous trouvons cette situation extrêmement regrettable et nous sommes de tout coeur avec la victime. Nous allons collaborer avec toutes les instances concernées. Et je dois signaler que notre processus de sélection des bénévoles est extrêmement rigoureux», assure-t-elle.