Le Service de police de la Ville  de Montréal répond annuellement  à 10 000 appels pour violence conjugale. Les cas d'agression par un conjoint ou un ex-conjoint représentent le tiers des crimes contre la personne commis sur le territoire montréalais. Il y a un an, la mort de Maria Altagracia Dorval dans des circonstances tragiques a amené la police à intervenir autrement. De plus, le nouveau chef du SPVM, Marc Parent, a clairement établi dès le départ que la lutte contre la violence conjugale serait l'une de ses priorités. Bilan, un an plus tard.

Automne 2010. Maria Altagracia Dorval, mère de famille de 28 ans, porte plainte à la police parce que son ex-conjoint l'a menacée de mort. Une semaine plus tard, l'homme passe à l'acte et assassine la jeune femme.

La mort de Mme Dorval a amené le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à resserrer ses interventions en matière de violence conjugale. Les policiers travaillent désormais avec un aide-mémoire, une grille d'analyse qui permet de mieux évaluer les risques de meurtre dans de telles situations.

Le SPVM compte aussi, depuis 2006, un groupe de 55 agents spécialisés répartis dans l'ensemble du territoire, qui jouent le rôle de conseillers auprès de leurs collègues. «Il est important que nos policiers comprennent le cycle de la violence conjugale. La dénonciation fait partie de ce cycle, mais elle ne marque pas la fin de la violence», explique le nouveau directeur du SPVM, Marc Parent, en entrevue au quartier général.

M. Parent a prêté serment peu de temps après la mort de Mme Dorval. En décembre, le nouveau chef a rencontré les médias à l'hôtel de ville après avoir déposé son premier budget. Une des premières et rares interventions publiques de ce patron discret. Cerné par une meute de journalistes, il a alors expliqué qu'il voulait recentrer la mission du SPVM sur ses priorités naturelles, notamment la lutte contre le crime organisé, la promotion de la sécurité routière et la prévention de la violence conjugale.

«La violence conjugale représente près de 30 % des crimes contre la personne», explique le directeur.

La violence conjugale a longtemps été le cheval de bataille de Marc Parent lorsqu'il était commandant de la région nord. Pour lui, le nerf de la guerre est le partenariat entre la police et les organismes du milieu, avec lesquels il a tissé des liens étroits. «Nous sommes incapables de faire ce travail seuls, mais nous tâchons d'être là en situation de crise. Les premières minutes sont importantes», souligne Marc Parent.

La pointe de l'iceberg

Dans le milieu, on applaudit cette volonté de s'attaquer à la violence conjugale, mais on reste réaliste. Les milliers d'interventions compilées annuellement par la police montréalaise ne sont que la pointe de l'iceberg de ce fléau social, croit la chercheuse Myriam Dubé, spécialiste de l'homicide intrafamilial au CRI-VIFF (Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes).

C'est elle qui a créé la grille dont se servent les policiers pour dépister les cas de violence conjugale qui risquent de dégénérer en homicide. Il se produit de 20 à 25 homicides conjugaux par année au Québec, mais les statistiques ne comptent pas les nombreuses autres formes de violence - psychologique, spirituelle, économique, verbale et sexuelle. «Pour amorcer une enquête, on ne tiendra compte que de la violence physique», explique Mme Dubé.

Mais avant que le sang coule, il y a toujours une escalade dans la violence, parfois entre différents registres de violence, ajoute la chercheuse.

Ce glissement vers la violence s'amorce lorsqu'un déséquilibre s'installe dans la relation de pouvoir entre deux personnes. «La violence ne commence pas d'un coup. Ça se fait petit à petit, insidieusement», explique Mme Dubé.

Qu'il soit rapide ou lent, le cycle de la violence conjugale passe généralement par ces étapes : tension, agression, justification et, enfin, lune de miel, au cours de laquelle l'homme se confond en excuses et tente de reconquérir sa victime. «C'est cette étape qui fait que la femme ne part pas. C'est un engrenage», constate Mme Dubé.

Heureusement, les jeunes femmes, plus indépendantes financièrement, tolèrent de moins en moins ces relations de violence et quittent souvent leur compagnon dès les premiers coups. «Quand l'homme comprend qu'elle ne reviendra pas, que quelque chose s'est brisé, il panique. C'est là que c'est dangereux», souligne Mme Dubé. Selon ses recherches, 40 % des cas de violence conjugale commencent après la séparation, tandis que 37 % des cas se poursuivent et que 23 % empirent après la rupture.

Environ 85 % des hommes violents ont grandi dans un milieu familial violent, souligne Geneviève Lessard, aussi chercheuse au CRI-VIFF. «C'est pourquoi, comme société, il faut oser se mêler de ce qui se passe ailleurs. Je ne pense pas qu'on manque de ressources pour s'attaquer au problème - c'est plutôt l'engagement social qui fait défaut», résume-t-elle.

Marc Parent le confirme: «Un des principaux objectifs est d'amener les gens à dénoncer la  violence conjugale.»