Le Montréalais Abousfian Abdelrazik, qui réclame 27 millions au gouvernement canadien et jure qu'il n'a aucun lien avec le terrorisme, était déjà dépeint en 2000 par les policiers français comme un «important activiste djihadiste» ayant des liens avec un membre haut placé d'Al-Qaïda au Pakistan, lit-on dans des documents judiciaires consultés par La Presse.

Le cas d'Abousfian Abdelrazik est évoqué à deux reprises dans un procès-verbal rédigé le 3 juillet 2000 par un commandant de la Direction de la surveillance du territoire (DST) à Paris. Cette entité de la police française (aujourd'hui DCRI) avait entre autres pour mission de lutter contre le terrorisme.

Ce procès verbal est en fait l'«étude» détaillée par les enquêteurs français du contenu d'un petit agenda saisi par la GRC le 13 octobre 1999 au domicile d'Abdellah Ouzghar. La perquisition a été effectuée à la demande de l'ex-juge parisien Jean-Louis Bruguière, qui enquêtait sur un groupe terroriste islamiste ayant des ramifications au Québec. En 2009, Ouzghar a été extradé vers la France, où il a été condamné à quatre ans de prison.

Son carnet contenait plusieurs noms d'individus bien connus des services de renseignement occidentaux.

Le nom d'Abdelrazik est cité une première fois par les policiers de la DST en lien avec la mention «Abderraouf 728.32.00» inscrite à la page «B»:

«Disons que ce numéro est connu de nos archives comme étant celui utilisé par le nommé Hannachi Raouf [...]. Ce dernier est connu comme activiste islamiste du «djihad international» en relation entre autres avec ABDELRAZIK Abousoufian Salman, alias ABOU SOUFIAN alias SOFIANE «le Soudanais», important activiste islamiste du «djihad international» proche d'Abou Zoubeida au Pakistan». Hannachi et Abdelrazik fréquentaient la même mosquée à Montréal et se seraient rendus ensemble en Afghanistan en 1996.

Zoubeida, Palestinien né en Arabie Saoudite, a longtemps été présenté comme un lieutenant d'Oussama ben Laden au Pakistan, chargé du recrutement des futurs terroristes. Il a été arrêté en 2002.

À la lettre «T» du même carnet figure aussi la mention «Sofiane 351.44.54» [...] «qui puisse éventuellement s'identifier à ABDELRAZIK Abousoufian Salman», note le policier de la DST.

Ces documents ont été déposés en preuve par le procureur général du Canada, dans le cadre d'une poursuite intentée à Montréal contre la GRC et le SCRS par un autre Montréalais suspecté de liens avec «un certain nombre d'individus liés à l'extrémisme islamique et au terrorisme».

Informations «recyclées»

Me Paul Champ, l'avocat de M. Abdelrazik, considère qu'il s'agit d'informations «recyclées», qu'il n'a «jamais vu aucune preuve confirmant ces allégations» et dit que son client nie connaître Abou Zoubeida.

«Le fait que la France ait répété ces allégations est troublant, poursuit-il. Cela démontre que des informations non corroborées ou inexactes peuvent être partagées avec des gouvernements étrangers encore et encore, sans que personne sache d'où elles proviennent».

Me Champ se demande si ces allégations ne proviendraient pas d'Ahmed Ressam, le Montréalais accusé d'avoir voulu faire sauter l'aéroport de Los Angeles le 31 décembre 1999. Ressam s'était montré très bavard après son arrestation en échange d'une remise de peine.

Le 4 août dernier, La Presse a publié le contenu d'une note confidentielle rédigée en 2004, probablement par le Service canadien du renseignement de sécurité, qui incrimine Abousfian Abdelrazik et Adil Charkaoui. Il s'agit de la transcription d'une conversation prétendument tenue entre les deux hommes au cours de l'été 2000, soit à la même époque que la sortie du document de la police française, et au cours de laquelle ils complotaient pour faire exploser un avion effectuant la liaison entre Montréal et Paris.

Abdelrazik se bat pour que son nom soit retiré de la liste noire des terroristes établie par l'ONU en vertu de la résolution 1267. Le Montréalais a été arrêté au Soudan, son pays natal, en 2003, et a été détenu plusieurs mois. Il s'est ensuite réfugié dans l'ambassade du Canada à Khartoum jusqu'à ce que la justice canadienne force le gouvernement Harper à le rapatrier en 2009.