Une récente décision de la Cour d'appel du Québec risque de dissuader des militants de porter des masques au cours de manifestations.

Deux militants contre la cruauté envers les animaux, qui invoquaient la liberté d'expression pour contester leur condamnation criminelle à la suite de leur participation à une manifestation lors de laquelle ils portaient foulards et masques d'Halloween, viennent de perdre leur bataille devant le plus haut tribunal de la province.

Vers 11h, le 24 octobre 2005, David Bertrand, Gabriel Villeneuve et Nils Feuerhahn se sont présentés devant le siège social de Lomir Biomedical, à Notre-Dame-de-l'Île-Perrot.

Cette entreprise qui fabrique de l'équipement destiné aux vétérinaires est l'un des fournisseurs québécois de l'entreprise britannique Huntingdon Life Sciences, spécialisée dans les tests sur les animaux de laboratoire. Les manifestants accusent cette dernière d'être cruelle envers les animaux.

Les versions de la suite des événements diffèrent. Les manifestants disent qu'ils voulaient attirer l'attention des employés de Lomir sur leur message de protestation à l'aide d'un avertisseur sonore et d'un porte-voix. Leur message était sobre, civilisé, le ton amplifié, mais pas trop fort, selon eux.

Une affiche aurait été «appuyée» contre la porte et les coups auraient été limités à deux coups de poing dans la fenêtre et la porte. Les trois manifestants ont tenté d'entrer dans l'établissement, mais comme la porte d'entrée était verrouillée, ils sont partis au bout de cinq à dix minutes en laissant des «pamphlets» explicatifs sur la cruauté envers les animaux.

Gabriel Villeneuve a dit avoir couvert le bas de son visage d'un foulard pour éviter d'être reconnu et par crainte de représailles. David Bertrand a affirmé pour sa part qu'il avait revêtu un déguisement d'Halloween pour attirer l'attention sur son message, et non pour faire peur.

De son côté, le président de Lomir, M. Long, soutient plutôt que les manifestants l'ont traité de tueur de chiots et de singes sur un ton agressif. Ils brandissaient des affiches et des dépliants exhibant des animaux morts. L'un d'eux aurait donné des coups de poing, de pied et de bâton dans les fenêtres et dans la porte. Le président a craint pour sa vie. Certains de ses employés pleuraient. M. Long a par la suite renforcé les mesures de sécurité de son entreprise.

Au terme d'un procès d'une journée, les trois manifestants ont été jugés coupables de harcèlement criminel et de port de déguisement dans l'intention de commettre un acte criminel, en juin 2007. Deux d'entre eux ont porté leur cause en appel.

Les juges France Thibault, Guy Cournoyer et Jacques Dufresne viennent de rejeter leur appel dans une décision étayée d'une cinquantaine de pages rendue le 1er août. Ils n'ont pas cru la version des manifestants, qui admettaient avoir manifesté déguisés, certes, mais de façon non violente. Le tribunal croit plutôt qu'ils craignaient d'être reconnus, arrêtés et traduits en justice.

«D'une part, le droit de manifester publiquement sa dissidence est un droit fondamental protégé par la Charte. D'autre part, la liberté d'expression comporte une exception selon laquelle l'expression violente ou la menace de recourir à la violence ne bénéficient pas de la garantie constitutionnelle», souligne d'entrée de jeu le juge Guy Cournoyer.

Ici, la frontière entre l'exercice légitime du droit constitutionnel de manifester et la commission d'infractions criminelles a été franchie, estime le juge Cournoyer.

«La force utilisée, les menaces, le ton sur lequel elles ont été prononcées et le port de masques avaient pour but d'intimider ces personnes (employés) et, ultimement, de convaincre Lomir de rompre ses liens d'affaires avec l'entreprise Huntingdon Life Sciences», ajoute la juge Thibault. Bien que l'événement ait été de courte durée, moins de 10 minutes, les juges estiment que la preuve de harcèlement est suffisante pour confirmer la décision de première instance.