Le profilage racial est revenu à l'avant-scène, cette semaine: le jour même où une mère de famille publiait une lettre ouverte déplorant la façon dont la police avait traité son fils, le commissaire à la déontologie policière a imposé une sévère suspension de 132 jours à un policier de Saint-Jérôme qui s'en était pris à un homme d'affaires noir.

L'agent fautif, Philippe Gauthier, que ses supérieurs décrivent comme «intelligent et travailleur», avait arrêté illégalement l'homme d'affaires Vens-Cols Edmond, qu'il a de surcroît menotté, rudoyé, détenu sans motif et accusé faussement de menaces et de voies de fait.

L'incident remonte à la nuit du 22 octobre 2009, pendant une opération de surveillance des motards criminels et des gangs de rue au bar de danseuses nues Le Garage, à Saint-Jérôme.

L'homme d'affaires, qui est originaire de Montréal mais qui exploite un commerce de détail en Floride, n'a aucun antécédent criminel et aucun lien avec les gangs de rue. Ce soir-là, il attendait dans la voiture de sa mère, devant l'établissement. Il était venu chercher sa conjointe, une danseuse nue qui allait terminer son quart de travail.

L'agent Gauthier, qui sait que des gangs fréquentent parfois le bar, a frappé à la vitre de la voiture et demandé à M. Edmond de s'identifier. Devant le refus de ce dernier, le policier l'a agrippé, l'a bousculé et arrêté. M. Edmond a été détenu un moment et accusé de voies de fait et de menaces, accusations qui ont été retirées après l'enquête en déontologie.

«Tout dans ce dossier repose sur une méprise découlant d'un préjugé tenace voulant que tous les membres de gangs de rue sont de race noire, faisant en sorte que l'agent Gauthier, sans raison autre que la couleur de la peau, a interpellé le plaignant comme un criminel», écrit le président du comité, l'ancien sous-ministre adjoint à la Justice Mario Bilodeau.

«Agir pour des motifs fondés sur la race ou la couleur constitue une faute grave en déontologie et le Comité doit lancer un message de dissuasion qui se reflète dans la sévérité de la sanction», poursuit-il.

Le président reproche aussi au policier d'avoir fourni de fausses informations dans son rapport pour tenter d'incriminer la victime.

«Lorsqu'elle est utilisée avec malveillance, la plume du policier s'avère un outil aussi redoutable pour les droits fondamentaux d'un citoyen que l'arme à feu pour son intégrité physique», écrit-il.

Joint hier à Montréal, Vens-Cols Edmond s'est dit décidé à poursuivre la police au civil pour obtenir compensation.

«J'ai perdu beaucoup d'argent dans tout ça. Non seulement il y a les frais d'avocats, mais comme j'avais plein de dates d'audience au Québec, j'ai passé trop de temps en dehors des États-Unis et j'ai perdu mon visa de travail. Maintenant, c'est mon père qui doit s'occuper du commerce en Floride», déplore-t-il.

Selon lui, le profilage racial est beaucoup plus courant au Québec qu'en Floride. «En Floride, en trois ans, les policiers m'ont interpellé une seule fois. Au Québec, quand je roulais en Lexus ou en Mercedes, je pouvais me faire intercepter jusqu'à 20 fois en un mois. Ça n'arrivait pas quand je roulais en Chevrolet Cavalier. Mais avec une voiture de luxe, c'était flagrant.»

Personne au service de police et à la Ville de Saint-Jérôme n'était disponible pour commenter le dossier hier.

Réactions à Laval

La décision du Comité de déontologie policière est tombée le jour même où Francine Laplante, Lavalloise mère de cinq enfants, dont trois fils adoptifs à la peau noire, s'inquiétait du profilage racial dans une lettre publiée dans La Presse.

Deux des fils de Mme Laplante, l'un blanc, l'autre noir, ont obtenu leur permis de conduire cette année. Le Blanc ne s'est jamais fait arrêter, alors que le Noir s'est fait interpeller neuf fois depuis le 19 mai.

«Je ne voulais pas dénoncer la police et les traiter de tous les noms. Je voulais juste qu'on utilise cette expérience pour se rendre compte que ce n'est pas un hasard», explique-t-elle.

Sa lettre n'est pas passée inaperçue. La police de Laval a immédiatement communiqué avec Francine Laplante pour l'informer des recours possibles en déontologie. Un officier lui a proposé de venir parler du sujet à de jeunes agents.

«Ils m'ont même proposé de faire enquête pour retracer les policiers impliqués, mais ce n'était pas mon but. Je veux seulement qu'on réfléchisse à la question. J'ai toujours dit à mes fils que la couleur de leur peau ne change rien. Mais là, ils commencent à se demander si c'est vrai», dit-elle.