Trois mois après sa création, l'Unité permanente anticorruption (UPAC) est encore boudée par les procureurs de la Couronne.

En février dernier, les procureurs s'étaient engagés à ne pas envoyer leur candidature pour les quelque 20 nouveaux postes à combler dans l'unité. Ils réagissaient à la loi spéciale -la deuxième en cinq ans- qui les forçait à cesser leur grève et retourner au travail. «Si le gouvernement pensait que la grogne s'éteindrait après quelques semaines, il s'est trompé», lance Me Christian Leblanc, président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales du Québec.

La création de l'UPAC a été annoncée en grande pompe en février dernier. Elle sera dotée d'un budget annuel de 30 millions de dollars. Elle regroupera entre autres l'escouade Marteau ainsi que des unités des ministères du Revenu et des Affaires municipales, de la Commission de la construction et de la Régie du bâtiment. On y greffera aussi un bras juridique, le Bureau de lutte contre la corruption et la malversation. C'est pour cette unité que des nouveaux postes de procureurs doivent être comblés.

Lundi dernier, on apprenait que le chef de ce bureau serait Me Sylvain Lépine. Or, Me Lépine était le procureur en chef adjoint de l'escouade Marteau. «On déshabille Marteau pour habiller l'UPAC», dénonce Véronique Hivon, critique du PQ en matière de justice. Elle rapporte que sept autres procureurs de l'escouade Marteau ont été mutés à des postes dans l'UPAC. «On déplace les ressources, on ne comble pas les postes. Si rien ne change, l'UPAC risque de rester une coquille vide», prévient-elle.

Pour justifier sa loi spéciale, le gouvernement soutenait devoir éviter la paralysie du système judiciaire. Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, se disait disposé à améliorer les conditions de travail de ses procureurs et juristes de l'État. Le gouvernement a depuis augmenté de 120 à 160 les nouveaux postes offerts pour la Couronne. «Mais on ne réussit même pas à combler ceux qui existent déjà à cause de nos mauvaises conditions de travail», réplique Me Leblanc. Le gouvernement offre aussi à la majorité de payer désormais le temps supplémentaire de ses procureurs -mais seulement à partir de la 40e heure, soit après cinq heures de bénévolat-.

Les procureurs disent être payés de 35 à 40% moins que leurs homologues des autres provinces. Dans sa loi spéciale, le gouvernement leur offre une augmentation de 6% en cinq ans, soit la même qui avait été consentie l'année dernière à ses fonctionnaires. Aucune nouvelle offre salariale n'a été faite. Me Leblanc se dit «particulièrement pessimiste». «L'impact est majeur sur la motivation au travail. On a à la fois des problèmes de recrutement et de rétention. À moins d'un changement dans les prochaines semaines, je crains que ça ne devienne irréversible.»