Après l'euphorie des promesses du gouvernement sur l'avenir du Nord québécois, la réalité. On ne tient plus de statistiques fiables sur le nombre d'agressions sexuelles dans cette région du Québec, révèlent les données du ministère de la Sécurité publique.

Sur ce sujet délicat, «les données sur le Nord sont incomplètes, il faut les interpréter avec beaucoup de prudence», a dit hier Marie-Michèle Lacasse, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, en réponse aux questions que La Presse avait adressées au cabinet du ministre Robert Dutil.

Les données régionales du ministère de la Sécurité publique sur les agressions sexuelles depuis le début de la décennie présentent une anomalie inexpliquée. Après 2006, le nombre de crimes sexuels aurait subitement chuté dans les communautés nordiques. Par exemple, de 2001 à 2006, on a signalé chaque année une soixantaine d'agressions sexuelles dans le Nord-du-Québec. En 2007, ce nombre chute subitement à 15, puis à 22 l'année suivante.

Anomalie statistique

Jusqu'en 2006, le taux d'agressions sexuelles dans le Nord était de loin le plus élevé de la province. On signalait environ 150 cas pour 100 000 habitants de 2001 et 2006. Subitement, en 2007, ce taux est passé à 36,8 pour 100 000 habitants.

À compter de 2007, le Nord-du-Québec est ainsi tout à coup devenu la région où il y a le moins d'agressions sexuelles, indiquent les statistiques du site officiel du ministère de la Sécurité publique.

Les données du Ministère précisent qu'à compter de 2007, les données «excluent celles de l'Administration régionale Kativik (ARK)».

Appelé à commenter la nouvelle, le ministre responsable des autochtones, Geoffrey Kelley, a reconnu ne pas avoir d'explications et renvoyé la balle à la Sécurité publique et à l'administration Kativik. Au ministère de M. Kelley, on avoue ne pas disposer de telles données.

À Kuujjuaq, Joë Lance, directeur général adjoint de l'ARK, n'a pas davantage d'explications. En fait, des sources proches du dossier ont confié à La Presse que la police régionale reçoit toujours les demandes de statistiques du ministère de la Sécurité publique, mais que personne ne se donne la peine de transmettre les données. «Nos formulaires ne reviennent pas», avoue-t-on.

Sur le territoire, la sécurité relève du Corps régional de police Kativik. Le fait que des autochtones en fassent partie a un avantage certain au point de vue linguistique; en revanche, les liens familiaux, dans des populations aussi réduites, posent des problèmes lorsqu'il s'agit de signaler des incidents, explique une source de la région. Au surplus, on constate toujours un roulement important des employés dans le Nord, tant chez les Blancs que chez les autochtones.

Crise du logement

Personne n'explique toutefois pourquoi ce changement ne s'est produit qu'à compter de 2007.

Pourtant, le problème des agressions sexuelles, souvent lié à l'alcoolisme ou à la dépendance aux drogues, reste une source d'inquiétude chronique pour les femmes et les enfants du Nord-du-Québec. Dans une lettre virulente, l'an dernier, Pita Aatami, président de la Société Makivik, et Maggie Emudluk, présidente de l'Administration régionale Kativik, avaient montré du doigt le problème du logement, source selon eux de tensions et d'une promiscuité qui favorise la violence conjugale et les agressions sexuelles.

M. Aatami et Mme Emudluk avaient souligné qu'il manquait déjà, l'an dernier, 1000 logements pour les Inuits. Le Plan Nord prévoit en ajouter 500 aux 340 déjà prévus dans les cinq prochaines années.

Dans une autre lettre publique, l'automne dernier, une brochette de spécialistes et d'universitaires, parmi lesquels Camil Bouchard, avait relevé les conséquences du manque de logements dans le Nord. «La densité résidentielle jouerait également un rôle important dans les mauvais traitements subis par les enfants. Plusieurs études contemporaines font état d'une corrélation très élevée entre le surpeuplement du logement et la violence physique et les agressions sexuelles envers les enfants», avaient-ils souligné.