Comme Satan rôdait dans les parages, Ornelia Fortunato devait mourir avant midi. C'est la conviction qu'avait John Mullin quand il a poignardé à de multiples reprises son ex-conjointe avec des ciseaux, le 19 décembre dernier, à Montréal-Nord. Il y a quelques jours, l'homme de 51 ans a été déclaré non responsable de ce meurtre en raison de ses troubles mentaux.

John Mullin souffre de schizophrénie paranoïde depuis longtemps. Un oncle, une tante et un cousin en souffraient aussi, tout comme sa soeur, sans doute, qui s'est suicidée en 1994 avant d'avoir obtenu un diagnostic. La maladie de John Mullin semblait cependant maîtrisée avec des médicaments. Le problème, c'est qu'il ne les prenait pas toujours. Comme si ce n'était pas suffisant, il lui arrivait de consommer du cannabis et de la cocaïne, qui n'ont pas la particularité de ramener quelqu'un à la raison.

Ce n'était pas la première fois que M. Mullin éprouvait des problèmes avec la justice en raison de sa maladie. En 2003, alors qu'il ne suivait pas les recommandations des médecins, il a été accusé de voies de fait sur son neveu. Il a été rapidement déclaré non responsable en raison de ses troubles mentaux. Traité en institution psychiatrique, il a été libéré en décembre 2005, selon des documents versés au dossier de la Cour. La suite est floue mais, en décembre dernier, son entourage a commencé à s'inquiéter et a entrepris certaines actions. Par un malheureux concours de circonstances, le drame s'est produit quand même.

Week-end funeste

Selon l'exposé du procureur de la Couronne Jacques Dagenais, M. Mullin et Mme Fortunato vivaient ensemble, rue Salk, depuis de plusieurs années. Ils avaient été conjoints, mais étaient devenus simples colocataires. M. Mullin vivait de l'aide sociale.

Le samedi 18 décembre, John Mullin a quitté le logement en disant qu'il allait prendre une bière chez son ami Gilles. Mais il n'y est pas allé. Inquiète, Mme Fortunato a appelé le 911 à 13h04, pour dire que son ami, schizophrène, était parti, qu'il ne prenait plus ses médicaments depuis le mois d'avril et qu'il était très malade. Sept minutes plus tard, des policiers ont repéré M. Mullin sur le boulevard Henri-Bourassa. Ce dernier a déclaré aux agents qu'il se rendait justement à l'hôpital Douglas, spécialisé en traitement de maladies mentales, pour recevoir une injection. Les policiers ont décidé de l'y conduire. À l'hôpital, M. Mullin aurait été confié à une infirmière, mais il est parti avant d'avoir été traité.

Le soir, vers 21h30, Mme Fortunato a dit à son fils, au téléphone, que Mullin était à la maison. Inquiet, le fils lui a recommandé de ne pas dormir là. Mme Fortunato a répondu qu'elle rappellerait. Elle n'en a pas eu la chance.

Le lendemain midi, un voisin, Gilles Lampron, a trouvé le sac à main de Mme Fortunato dans les escaliers. C'est en voulant rapporter l'objet à sa voisine qu'il a fait l'horrible découverte. La femme de 49 ans gisait sur le dos, dans une mare de sang, dans la cuisine.

M. Mullin n'était plus là. Après son crime, il s'était rendu de son propre chef à l'hôpital Douglas. Comme il avait des contusions, des coupures et du sang sur lui, on l'a immédiatement pris en charge et on a prévenu la police. M. Mullin a avoué sans détour qu'il avait tué Mme Fortunato «après un combat de quatre heures, avec l'aide de Dieu dans ma main droite». Dans son délire, il craignait que le diable, «l'homme avec un milliard d'âmes», vienne s'emparer de lui. «Il change constamment son apparence. Il est là, juste derrière vous, il porte des lunettes», a-t-il dit à un membre du personnel à l'hôpital.

Les évaluations psychiatriques ne laissent aucun doute: M. Mullin était en plein délire à ce moment. Le juge Vincent l'a donc déclaré non responsable du crime pour cause de troubles mentaux. Il sera incarcéré à l'Institut Philippe-Pinel pour y être traité. Une commission d'examen décidera s'il pourra être libéré un jour mais, étant donné les faits, cette libération sera sans doute plus difficile à obtenir.

Si M. Mullin avait été traité à l'hôpital Douglas le samedi 18 décembre, Mme Fortunato serait sans doute encore en vie. Mais le personnel de l'hôpital n'a rien à se reprocher, assure Hélène Racine, directrice des soins infirmiers et de la qualité à cette institution universitaire. Mme Racine ne veut pas parler du cas particulier de M. Mullin, pour des raisons de confidentialité, mais elle signale que tous ceux qui arrivent à Douglas sont évalués. «Si la personne représente un danger pour elle-même ou pour les autres, on la met dans un espace barré. Mais si elle vient d'elle-même, qu'elle ne représente pas un danger, on ne peut pas la retenir si elle veut s'en aller», a expliqué Mme Racine, en précisant que le personnel doit respecter la Charte des droits et libertés. Ainsi, M. Mullin, qui n'a manifestement pas semblé dangereux aux yeux du personnel, a pu décider de partir en disant qu'il reviendrait le lendemain sans qu'on puisse l'en empêcher. «Il arrive qu'une personne ne soit pas dangereuse tout de suite, et le devienne après 12 ou 15 heures», a signalé Mme Racine.