Voilà un excès de vitesse qui coûte cher! En pesant un peu trop sur l'accélérateur, le 10 octobre 2004, Hyman Terk a involontairement fait sortir un squelette de son placard. Ce qui lui vaudra d'avoir un procès pour une fraude de 7 millions de dollars, survenue il y a 20 ans.

Terk croyait bien s'être débarrassé de cette vieille, mais costaude histoire de fraude, en 2009, lorsqu'un juge de la Cour du Québec a ordonné l'arrêt des procédures, en raison du long délai écoulé pour le juger. Mais cette décision a été cassée la semaine dernière par la Cour d'appel, qui ordonne que Terk ait son procès. L'homme de 63 ans est en grande partie responsable du délai, estime la Cour d'appel. Après tout, c'est lui qui a décidé d'aller s'établir en Israël en mars 1995, peu après avoir appris que la police enquêtait à son sujet pour une gigantesque fraude commise à l'égard de United Westburne.

Pendant des années, Terk a été cadre (secrétaire général) de cette grande entreprise de pièces de plomberie et d'électricité, dont le siège social était situé sur le boulevard Décarie. En 1987, l'entreprise a été vendue à Dumez Investments. Terk a continué d'y travailler, jusqu'à ce qu'il soit remercié de ses services, en 1991, manifestement lors d'une restructuration. Par la suite, on a découvert que, de 1987 à 1991, 7,1 millions de dollars provenant d'intérêts de comptes en fiducie avaient été comptabilisés comme des dépenses. L'argent détourné aurait transité dans des comptes bancaires au Panama, en Suisse et au Liechtenstein avant de disparaître. Suspecté de ce stratagème comptable, Terk a fait l'objet de deux poursuites de United Westburne Inc, qui tentait de récupérer ses millions.

Enquête criminelle

En décembre 1994, un enquêteur de la police de Montréal, André Gaudreau, a interrogé Terk et l'a avisé qu'il était sous le coup d'une enquête criminelle pour la fraude en question. Les accusations de fraude ont finalement été déposées en novembre 1995. Mais Terk, qui avait la nationalité israélienne, s'était volatilisé. Un mandat d'arrêt a été lancé contre lui. Peu après, l'enquêteur Gaudreau a appris de la mère de Terk, qui vivait à Montréal, que son fils vivait en Israël depuis mars 1995.

Le processus d'extradition n'a pas donné le résultat escompté, puisqu'Israël n'extrade pas ses ressortissants.

Retour au Canada et arrestation

Les années ont passé. Terk serait revenu au Canada en 2003, sans être inquiété, malgré le fait qu'il était toujours sous le coup d'un mandat d'arrêt. Il s'est établi en Ontario. Mais le vent s'apprêtait à tourner.

Le 10 octobre 2004, alors que Terk se dirige vers Montréal en voiture, il est intercepté pour excès de vitesse. Les policiers ontariens réalisent qu'il fait l'objet d'un mandat et l'arrête. Le lendemain, il comparaît à Montréal sous les accusations de fraude portées neuf ans plus tôt. Il obtient sa liberté sous cautionnement.

Le ministère public fait face à quelques pépins au début, car le dossier a été détruit par erreur. L'enquêteur Gaudrau a également pris sa retraite, ce qui n'aide pas le processus. On charge une autre policière de monter un dossier, tâche qu'elle finira au bout de 11 mois, en septembre 2005. À partir de ce moment, l'accusé demande plusieurs ajournements. Il finira tout de même par être cité à son procès, après avoir subi son enquête préliminaire. Suivront d'autres remises à la demande de l'accusé, qui cherche notamment à bénéficier de l'aide juridique - il sera refusé -, et qui se cherche un autre avocat. Finalement, alors que son procès doit s'ouvrir en septembre 2008, le nouvel avocat de Terk présente une requête en arrêt des procédures pour délais déraisonnables.

Le juge Claude Millette accorde cette requête en avril 2009. Le magistrat fait porter le chapeau des délais au «système» qui a connu trop de ratés, et à la négligence des autorités: retour au pays sans être inquiété, dossier perdu, les policiers auraient dû appeler Terk en Israël pour le prévenir qu'il était accusé, au lieu de passer par l'extradition, estime le juge. Terk affirme que, pendant toutes ses années passées en Israël, et même après être revenu ici, il ignorait que des accusations criminelles avaient été déposées contre lui. Petite parenthèse ici: le dossier avait tout de même été médiatisé, comme en font foi des articles parus dans La Presse et le Journal de Montréal.

Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel ne voit pas les choses comme le juge de première instance. Le délai imputable au ministère public est de deux ans tout au plus (septembre 2003 à septembre 2005), alors que Terk est responsable de tous les autres délais, estime le plus haut tribunal de la province. Et ce, en incluant le délai où il a vécu en Israël.

M. Terk devra donc se résoudre à avoir son procès. En ce qui concerne les deux poursuites civiles, celle de 2,5 millions s'est conclue par un jugement par défaut en 1996 en l'absence de M. Terk, et l'autre, de plus de 5 millions, qui vise M. Terk mais aussi des banques, est toujours en cours.