Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Louis Dionne, a convoqué tous les procureurs-chefs et chefs adjoints de la province à une rencontre spéciale aujourd'hui à Québec, a appris La Presse. «La rencontre portera sur les événements des dernières semaines», a-t-on laconiquement confirmé au bureau de Me Dionne.

Selon nos informations, aucun ordre du jour n'a été donné. La rencontre a pour but de motiver et de retenir les procureurs, démoralisés depuis leur retour forcé au travail mardi dernier. Certains songeraient à démissionner et à chercher un emploi au fédéral ou à la Défense. On craint des départs massifs.

Crise

Il sera aussi question de la crise que traverse l'institution du DPCP. Me Dionne est resté muet durant tout le conflit. Mais les cadres, eux, ont dénoncé la loi spéciale. Au moins 31 des 48 procureurs-chefs et procureurs-chefs adjoints ont demandé par écrit de démissionner et redevenir ainsi de simples procureurs. Me Dionne a refusé dans tous les cas.

L'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP) a perdu confiance en Me Dionne. Elle a demandé sans succès sa démission.

Peu après avoir adopté la loi spéciale, le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, assurait qu'il était encore disposé à améliorer les conditions de travail des procureurs. Hier, il a répété qu'il continuerait de «travailler à améliorer les conditions de travail, notamment sur la rétention, sur l'attraction, sur les ressources, sur les moyens». Mais avant de s'asseoir avec le gouvernement, l'APPCP pose ses conditions: que le gouvernement retire sa loi spéciale. Elle n'a pas encore reçu d'invitation du gouvernement, indique sa porte-parole, Me Julie-Maude Greffe.

Le lien de confiance brisé, affirme le bâtonnier

Par ailleurs, dans une lettre envoyée mercredi aux 23 000 membres du Barreau, le bâtonnier du Québec affirme que le lien de confiance entre le gouvernement et les avocats est brisé. «Si un doute persistait quant à la place réelle qu'occupe la justice au sein des préoccupations de l'État, nous avons reçu hier un message clair», a écrit Me Gilles Ouimet.

«L'adoption d'une loi spéciale forçant le retour au travail des procureurs des poursuites criminelles et pénales et des juristes de l'État brise le lien de confiance entre le gouvernement et ses avocats et démontre clairement l'importance relative que le gouvernement du Québec accorde à la justice.

«Comme si l'adoption d'une loi spéciale, mesure exceptionnelle et grave, n'était pas suffisante, le gouvernement force les procureurs et juristes à accepter des conditions de travail en deçà des dernières offres déposées. Un geste lourd de conséquences.»

En plus de dénoncer la loi spéciale, le bâtonnier affirme qu'un trop grand nombre de personnes démunies n'ont pas accès à la justice, en raison des critères d'admissibilité à l'aide juridique selon lui trop restrictifs.

«L'État doit valoriser les services juridiques, parce que ceux-ci sont essentiels au bon fonctionnement de notre société, écrit le bâtonnier. Avons-nous besoin de rappeler au gouvernement du Québec que la justice constitue un pilier essentiel de la démocratie?

«Si le gouvernement veut rebâtir les ponts qu'il a lui-même coupés et s'il est sincère dans son offre de négociation, il doit se mettre à table rapidement et tenter de trouver des solutions pour valoriser la justice.»

Réactions

Les dénonciations du bâtonnier s'ajoutent à celles de Me Claude Chartrand, procureur en chef du Bureau de lutte au crime organisé (BLACO). «Ce n'est pas que le Bureau de lutte contre le crime organisé qui est en péril, mais bien toute l'institution du Directeur des poursuites pénales et criminelles», a déclaré il y a quelques jours Me Chartrand, qui a annoncé sa démission en tant que procureur-chef du BLACO.

La nouvelle unité permanente anticorruption est aussi menacée. En guise de protestation, plus de 420 des 450 procureurs refusent présentement de poser leur candidature.