Impossible de distinguer si nous sommes dans le parc du Mont-Saint-Bruno ou juste à côté. On voit les mêmes arbres, surtout des chênes en fait, mais aussi des hêtres et des érables. C'est une forêt mature comme celle qui domine le parc voisin.

On trouve des deux côtés de la clôture certaines des mêmes espèces rares ou vulnérables, et juste de l'autre côté se trouve une «zone de préservation extrême» du parc.

Mais ici, sur ce terrain de six hectares appelé bois des Hirondelles, il y aura bientôt des maisons de luxe, à l'image de celles qui font la renommée de la municipalité de Saint-Bruno-de-Montarville.

Des citoyens s'opposent à ce projet immobilier proposé par le promoteur Paul Massicotte, sénateur libéral. Ce dernier a acheté le terrain en 2006 pour 1,9 million.

Le terrain appartenait au très sélect Mount Bruno Country Club, lequel, deux ans auparavant, avait pourtant assuré par lettre à des résidants du secteur qu'il n'avait «pas l'intention de vendre quelque parcelle de terrain que ce soit».

M. Massicotte n'a pas répondu aux messages laissés par La Presse à son bureau du Sénat.

Catherine Mondor, résidante du secteur, dénonce le projet, même s'il est conforme au zonage. «Ici, à Saint-Bruno, c'est le lotissement à tout prix, dit-elle. L'argument de la Ville, c'est que les espèces menacées ici se retrouvent aussi dans le parc. Ça n'a pas de sens!»

Son voisin, Gilles Racine, a construit sa maison adossée à la forêt en 1975. «Depuis 30 ans, on essaie de s'assurer auprès du club de golf que le terrain soit conservé, dit-il. Nous-mêmes, on était intéressés à l'acheter.»

Le groupe de citoyens formé par Mme Mondor et M. Racine a recueilli 1200 signatures au moyen d'une pétition demandant la préservation de la forêt. Plusieurs d'entre eux se sont donné rendez-vous à la séance du conseil municipal de ce soir.

En entrevue, le maire Claude Benjamin laisse entendre que le projet sera autorisé et qu'aucun scénario de conservation n'est envisagé. «Le terrain est depuis toujours zoné résidentiel, dit-il. Il y a peu d'espèces rares et on les retrouve de toute façon dans le parc de l'autre côté.»

Il rejette aussi la possibilité qu'un organisme privé intervienne pour acheter une partie des terrains, comme cela s'est fait de l'autre côté de la montagne, à Sainte-Julie. «Le terrain est évalué à 2,5 millions, mais on parle de 6 ou 7 millions pour désintéresser le promoteur, dit-il. Et je ne connais pas d'organisme qui soit intéressé à ce terrain.»

L'organisme Éco-Nature affirme qu'il est prêt à travailler avec la Ville, mais n'a pas été sondé en ce sens. Quant au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), il juge le coût prohibitif. «Étant donné qu'il est zoné résidentiel, il vaut cher, dit Bernard Désorcy, chargé de projet au MDDEP. Étant donné qu'on a un budget, il faut faire des choix, qui sont parfois déchirants.»

Encourager les projets immobiliers

L'objectif du maire est simple: encourager les projets immobiliers partout où ils sont permis actuellement, unique façon selon lui de gérer les finances de la Ville. «Il ne reste pas beaucoup de terrain à aménager à Saint-Bruno, dit-il. S'il n'y a pas de construction, il faut réduire les services ou augmenter l'impôt foncier.»

Sur le projet des Hirondelles, il y aura une «consultation», mais pas d'ouverture de registre donnant éventuellement droit à un référendum, dit-il, parce que le projet respecte le zonage actuel.

M. Benjamin affirme aussi être en négociation pour voir aboutir un autre projet résidentiel dans un milieu naturel de 38 hectares, mais en conservant une portion «assez vaste». Dans ce dossier, comme dans tous ceux impliquant la destruction de milieux humides, le promoteur doit obtenir l'autorisation de ministère du MDDEP.

La Ville est par ailleurs en train de parachever la vente de terrains qu'elle possède toujours à l'intérieur du parc au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP).

Le produit de la vente, 500 000$, sera réinvesti dans divers aménagements dans les plans d'eau de la Ville, dont le déplacement d'un ruisseau traversant le parc industriel. La Ville a aussi cédé pour 45 000$ au MDDEP des terrains zonés agricoles qui pourront être rattachés au parc. Dans ce cas, à cause du zonage et du fait qu'il s'agit d'une tourbière, aucune construction n'y était possible.

Les projets du maire Benjamin sont vivement dénoncés par de nombreux citoyens de Saint-Bruno, qui se rallient derrière Martin Murray, chef du Parti montarvillois et candidat défait à la mairie en 2009.

«C'est la qualité de l'environnement naturel qui attire les gens à Saint-Bruno, dit M. Murray. Et on est en train de tout perdre.»

Il rejette aussi les arguments pro-construction du maire Benjamin. «Au contraire, dans toutes les villes où la construction s'est accélérée, l'impôt foncier a augmenté, dit-il. On s'endette et ensuite on court après les dollars.»

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Un compromis à Sainte-Julie

Les collines Montérégiennes comme le mont Saint-Bruno et le mont Saint-Hilaire étouffent, victimes du pouvoir d'attraction qu'elles exercent sur les promoteurs immobiliers et les acheteurs de maisons friands de nature. Mais de patients efforts de persuasion et le changement dans les mentalités peuvent mettre un frein à la destruction. À Sainte-Julie, un terrain de 20 hectares zoné résidentiel sera préservé en majorité, grâce à la concertation de la Ville, du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) et les organismes Nature-Action et Conservation de la nature, et avec la bonne volonté affichée par le promoteur immobilier. Le projet, qui est en voie d'être finalisé, soustraira une douzaine d'hectares au lotissement, soit 60% du terrain. Le montage financier est d'environ 1,8 million.