La guerre des médias s'est déplacée devant la Cour supérieure, hier, alors que débutait le procès opposant le grand patron de Quebecor, Pierre Karl Péladeau, au vice-président des services français de Radio-Canada, Sylvain Lafrance. M. Péladeau accuse M. Lafrance d'avoir tenu des propos diffamatoires à son endroit et réclame 700 000$.

L'histoire remonte à 2007, lorsque M. Péladeau a annoncé l'arrêt des contributions de Vidéotron au Fonds canadien de télévision. En entrevue au Devoir, M. Lafrance avait alors réagi en déclarant: «Ce gars-là (Pierre Karl Péladeau) se promène comme un voyou, et il est en train de faire dérailler un des systèmes télévisuels qui a le plus de succès dans le monde.»

M. Péladeau estime que, en tenant de tels propos, qu'il a répétés à plusieurs émissions de Radio-Canada et de RDI par la suite, M. Lafrance a voulu «laisser croire au public que la décision (de Quebecor) était illégale ou moralement répréhensible dans l'espoir que la pression du public force Vidéotron à reprendre ses paiements au Fonds».

Les propos de M. Lafrance ont-ils nui à Quebecor et à son patron, Pierre Karl Péladeau? C'est ce que tentent de prouver les avocats de Quebecor, qui soutiennent que la réputation de l'entreprise a souffert de l'incident.

Appelé à témoigner, Luc Lavoie, porte-parole de Quebecor durant huit ans, a été questionné sur l'image publique de son ancien patron dans la société québécoise, afin de démontrer que cette image a été entachée par les propos de Sylvain Lafrance. «C'est difficile d'évaluer ça (l'image) à cause des écrans de fumée, a répondu M. Lavoie. Il y a une différence entre les blablabla des 5 à 7 et l'attachement des gens aux produits de Quebecor.» Le juge Claude Larouche, qui préside le procès, lui a alors demandé s'il était en mesure de répondre à des questions sur l'image de M. Péladeau, étant donné le poste qu'il avait occupé dans l'entreprise. A-t-il la distance nécessaire pour juger de la perception qu'ont les Québécois du magnat? «Bien sûr», a répondu Luc Lavoie. Au fond, a-t-il ajouté, les gens ne connaissent pas réellement Pierre Karl Péladeau. L'ex-vice-président-directeur de Quebecor, qui agit aujourd'hui à titre de consultant pour l'entreprise, a ensuite énuméré les qualités de l'homme d'affaires: «Son énergie sans fin, son courage à toute épreuve, ses capacités intellectuelles, sa volonté en acier inoxydable, etc.»

Le juge s'est alors permis une petite remarque personnelle d'un ton malicieux: «On n'a qu'à regarder ce qui se passe avec le lock-out présentement.Ça prend quelqu'un qui a du caractère et qui tranche.» Cette remarque a fait rire M. Lavoie, qui s'est toutefois gardé de la commenter.

Le témoignage de Luc Lavoie a également permis d'apprendre que, entre 2005 et 2007, Quebecor a dépensé un peu plus de 42 millions de dollars pour refaire son image. Dons, commandites (Journée des musées, Correspondances d'Eastman, projet Elephant), M. Lavoie a vanté les nombreuses participations de l'entreprise, principalement dans le secteur culturel québécois. Les avocats de M. Péladeau n'avaient toutefois aucune pièce justificative à l'appui du chiffre de 42 millions.

Cours Médias 101

Plus tôt dans la journée, on a eu droit à un véritable cours magistral sur le Fonds canadien de télévision. L'ancien vice-président de Quebecor Média, Pierre Lampron, est venu expliquer la raison d'être et le fonctionnement de l'organisme. Aujourd'hui membre du parti municipal Vision Montréal et conseiller dans le district du Vieux-Rosemont, M. Lampron a été longuement questionné sur les doléances de M. Péladeau concernant la gestion du Fonds à l'époque. L'avocat de M. Péladeau voulait faire valoir que Vidéotron avait eu raison de s'en retirer temporairement puisque la nouvelle formule de l'organisme, rebaptisé Fonds des médias du Canada en avril dernier, a répondu à presque toutes ses exigences.

Contrairement à Pierre Karl Péladeau, qui assistait à une réunion à New York, le vice-président de Radio-Canada, Sylvain Lafrance, était présent à l'audience. Il n'était pas le seul représentant de Radio-Canada dans la salle: Marc Pichette, directeur des relations publiques, ainsi que Me Sylvie Gadoury, procureure de la société d'État, y ont aussi assisté.

Ce matin, Pierre Karl Péladeau et sa conjointe, Julie Snyder, doivent témoigner. Le procès pourrait durer encore 11 jours.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Sylvain Lafrance arrive au palais de justice ce jeudi matin.