Pour ne pas nuire à l'enquête Colisée, qui était à la veille d'aboutir, la police a négligé, dans son enquête sur le double meurtre commis dans la nuit du 24 octobre 2006 au bar Upperclub, des pistes sérieuses qui pointaient vers des hommes d'origine italienne liés à la mafia.

C'est ce qui se dégage du contre-interrogatoire des deux policiers responsables de l'enquête, mené hier par Me Pierre Poupart au procès de Benjamin Hudon-Barbeau. Ce dernier est accusé du meurtre non prémédité de Jean-Patrick Fleury, 28 ans, et de Vladimir Nicolas, 31 ans. Ils ont été criblés de balles en tentant de fuir l'Upperclub par l'escalier de secours extérieur.

Mario Lambert était l'enquêteur principal et Marco Roy était responsable de la scène de crime. La nuit du drame, ils sont arrivés au bar du boulevard Saint-Laurent vers 4h. Fréquenté par des gangs de rue, des motards et la mafia italienne, l'endroit était entouré d'un cordon de sécurité et gardé par les policiers.

En pénétrant dans l'établissement, l'enquêteur Roy a constaté que l'endroit avait été nettoyé. Tous les verres avaient été lavés et rien ne traînait, ce qui rendait impossible le prélèvement d'échantillons pour des analyses d'ADN. Seul le plancher était sale. Il n'y avait pas de trace de sang à l'intérieur, et aucune expertise au luminol n'a été réalisée. Aucune photo de la section VIP n'a été faite non plus. Selon des témoins, c'est une bagarre dans la section VIP du bar qui a déclenché la fusillade. En fait, l'étincelle serait survenue quand une des deux victimes, déjà très ivre, aurait saisi une bouteille de grappa commandée par des clients d'origine italienne, pour la boire au goulot.

Colisée et Upperclub

Dans les heures qui ont suivi les meurtres, l'enquêteur Lambert a appris qu'un VUS Yukon noir avait quitté les lieux dès après les coups de feu. Un agent de stationnement avait relevé le numéro de plaque, car il s'apprêtait à lui dresser une contravention.

L'enquête allait démontrer que ce Yukon appartenait à Charles Édouard Battista, une des cibles de l'opération Colisée. Les policiers du SPVM ont attendu au 22 novembre 2006, jour de la frappe de Colisée, pour examiner ce véhicule. Des tests au luminol ont démontré qu'un manteau de cuir dans la voiture portait des taches de sang. Battista se trouvait à l'extérieur du pays au cours de la frappe Colisée. Il a été arrêté à son retour.

La nuit du double meurtre, une boucle d'oreille a été trouvée dans l'escalier où sont mortes les deux victimes. L'ADN démontre que ce bijou appartenait à Dany Winton Martinez Canas. Ce dernier a lui aussi été arrêté dans le cadre de l'opération Colisée. Deux autres cibles de Colisée, Giuseppe Fetta et Vincent Lemay, se trouvaient également à l'Upperclub au moment du double meurtre.

Une chose est sûre, cependant: Battista, Canas et Fetta étaient considérés comme des gardes du corps du clan mafieux de Nicolo Rizzuto. Dans le cadre de l'opération Colisée, ils avaient été vus dans un garage du boulevard Saint-Laurent, en train d'assembler et de manipuler des armes de fort calibre, dont un fusil mitrailleur AR-15.

Une vieille animosité

Hier, on a aussi appris que, une semaine avant d'être abattu à l'Upperclub, Jean-Patrick Fleury s'était battu avec un homme d'origine italienne au bar Moomba, à Laval. Après la querelle, le portier avait conseillé à Fleury de ne pas sortir immédiatement du bar, car il risquait de se faire descendre. L'animosité remontait à encore plus loin. En mars 2005, Fleury se trouvait apparemment au bar Moomba avec Thierry Beaubrun, membre influent du gang des 67, quand ce dernier a abattu Mike Lapolla, lié à la mafia italienne. Beaubrun a été abattu à son tour la même nuit, alors qu'il sortait de l'établissement.

La preuve de la Couronne est close. Ce matin, Me Poupart doit annoncer s'il présentera une défense. Rappelons que son client a été arrêté et accusé huit mois après le double meurtre.