La Cour suprême du Canada a statué, par trois arrêts prononcés vendredi, que les droits Miranda, une règle appliquée aux États-Unis et qui accorde le droit à un suspect de bénéficier de la présence d'un avocat pendant son interrogatoire, ne peuvent être mis en pratique au pays.

Dans l'affaire principale, cinq des neuf juges ont conclu que la Charte des droits et libertés n'accordait pas le droit à la présence d'un avocat pendant toute la durée d'un interrogatoire de la police.

En d'autres termes, cela signifie que les droits Miranda -un volet législatif fréquemment évoqué lors de séries policières du petit écran et où un avocat n'hésitera pas à chuchoter dans l'oreille de son client pendant son interrogatoire- ne s'appliquent pas au Canada.

Le plus haut tribunal canadien a également conclu que des suspects n'avaient aucunement le droit d'interrompre un interrogatoire pour consulter de nouveau leur avocat, sauf lors de circonstances particulières.

Et bien que les suspects aient le droit de choisir leur avocat, a ajouté la Cour suprême, ils doivent accepter celui qui leur est assigné s'ils sont incapables d'entrer en contact avec le leur dans un délai raisonnable.

La juge en chef Beverley McLachlin et la juge Louise Charron ont rédigé la décision des juges majoritaires dans chacun des trois dossiers.

Les juges Morris Fish et Louis Lebel ont présenté des motifs dissidents, avec l'accord de la juge Rosalie Abella. Le juge Ian Binnie a également offert des motifs dissidents dans l'affaire principale.

Les juges McLachlin et Charron ont clairement expliqué leurs motifs pour rejeter l'application des droits Miranda. Elles ont précisé qu'un suspect a le droit de consulter un avocat avant un interrogatoire et d'être informé de ce droit. Mais cette consultation avec un avocat a pour but d'aider le suspect à décider s'il devrait collaborer ou non avec les policiers. Aucune disposition n'autorise cependant la présence d'un avocat pendant l'interrogatoire proprement dit. Mais rien n'interdit la présence d'un avocat pendant un interrogatoire si les deux parties sont d'accord.

«Nous ne sommes pas convaincues que la règle Miranda devrait être implantée en droit canadien», écrivent-elles, tout en rappelant qu'il existe des différences significatives entre les systèmes canadien et américain.

«L'arrêt Miranda faisait suite aux tactiques policières abusives alors courantes aux États-Unis et il s'applique dans le contexte de nombreuses autres règles moins favorables à l'accusé que leurs équivalents canadiens», ajoutent les juges McLachlin et Charron.

Celles-ci ont par ailleurs émis un avis concernant l'utilisation de lois d'autres pays au Canada. «Adopter des protections procédurales d'autres ressorts de façon fragmentaire risque de compromettre l'équilibre établi par les tribunaux et les organes législatifs canadiens», écrivent-elles.

Les juges McLachlin et Charron indiquent que des suspects ne peuvent interrompre un interrogatoire et demander de bénéficier de conseils juridiques additionnels, à moins de faire face à des circonstances particulières, telles la séance d'identification ou le test polygraphique, ou s'il existe des raisons de croire que le détenu a mal compris ses droits.

La Cour suprême a aussi statué que la police peut continuer de poser des questions même après que le suspect ait invoqué le droit au silence.

«Certes, la police doit respecter les droits que la Charte garantit à un individu, mais la règle selon laquelle elle doit automatiquement battre en retraite dès que le détenu déclare qu'il n'a rien à dire ne permet pas, à notre avis, d'établir le juste équilibre entre l'intérêt public à ce que les crimes fassent l'objet d'une enquête et l'intérêt du suspect à ne pas être importuné», peut-on lire dans l'arrêt principal.

Au sujet du droit de choisir son avocat, la Cour suprême a émis l'opinion que cette disposition est applicable seulement si l'avocat peut être joint dans un délai raisonnable. Or, un délai raisonnable, précisent les magistrats, dépend des circonstances, incluant la gravité de l'accusation et l'urgence de poursuivre l'enquête.

«Si l'avocat choisi ne peut être disponible dans un délai raisonnable, le détenu est censé exercer son droit à l'assistance d'un avocat en communiquant avec un autre avocat, sinon l'obligation qui incombe à la police d'interrompre l'entretien est suspendue.»

Les trois affaires -deux survenues en Colombie-Britannique et l'autre en Alberta-  étaient toutes reliées aux droits de consulter un avocat. La Cour suprême a utilisé l'une d'elles comme cas principal et appliqué ses conclusions aux deux autres.

Dans les deux causes de Colombie-Britannique, les parties appelantes ont échoué dans leur tentative de renverser un verdict de culpabilité.

Dans la cause albertaine, un juge de première instance avait déterminé que le droit d'un défendeur de consulter un avocat n'avait pas été respecté, et avait acquitté l'accusé. Mais une cour d'appel avait renversé ce jugement et ordonné la tenue d'un nouveau procès. La décision de la Cour suprême signifie qu'un nouveau procès aura bel et bien lieu.