À première vue, Ziad n'a pas le parcours typique d'un «soldat des gangs de rue». Il n'a pas grandi dans un HLM de Saint-Michel ou Montréal-Nord, mais bien sur le Plateau-Mont-Royal. De son propre aveu, il n'a jamais manqué de rien.

En lisant sa biographie, Moi, Ziad, soldat des gangs de rue, qui vient tout juste de paraître aux éditions Les Intouchables, on se croirait parfois dans un téléroman. Mais là où son récit est en tout point semblable à celui de centaines de jeunes Montréalais qui frayent dans le milieu des gangs, c'est que son désir de se tailler une place lui a fait commettre l'irréparable.

À l'âge de 19 ans, il a participé à une fusillade à bord d'une voiture en marche dans le quartier Saint-Michel. Une adolescente de 15 ans enceinte de 5 mois et un jeune homme dans la vingtaine ont été tués. Ce jour-là, il a gâché la vie de plusieurs personnes qui sortaient d'un baptême. En plus, évidemment, de la sienne.

Prison à vie

Aujourd'hui, Ziad purge une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans. Quinze ans après ce double meurtre, beaucoup de jeunes gangsters le considèrent toujours comme un héros. Maintenant âgé de 36 ans, il a voulu faire un livre pour inciter les jeunes à ne pas suivre ses traces.

«Quand je les croise en prison, je ne leur fais pas la morale. Ils ne m'écouteraient pas. Moi, à leur âge, je n'écoutais rien. Mais je leur montre que je suis malheureux, qu'il n'y a rien de glorieux dans ce que j'ai fait», explique Ziad à La Presse, qui l'a joint par téléphone en prison.

Le journaliste aux affaires criminelles à Rue Frontenac, Vincent Larouche, lui a prêté sa plume pour écrire cette biographie. Ziad a changé le nom des personnes avec qui il a commis des crimes, dont ceux de ses complices dans le double meurtre. «Dans ce milieu-là, on n'est jamais à l'abri des représailles», dit-il. C'est à la demande de ses parents qu'il ne révèle pas non plus son nom de famille.

Le lecteur qui connaît mal le milieu des gangs de rue découvrira que, à Montréal, de jeunes hommes qui n'ont pas 20 ans peuvent se procurer une Uzi (une mitraillette compacte de fabrication israélienne) pour 2000$. Ou encore louer un peu partout en ville des chambres au nom de leurs copines pour éviter d'être retrouvés par la police. Et même entrer dans des bars branchés et laisser leur arme au portier sans crainte d'être dénoncés.

Ziad avait 2 ans lorsqu'il a quitté le Maroc avec le reste de sa famille pour immigrer au Canada. Ses parents ont ouvert sur le boulevard Saint-Laurent un bureau de poste qui leur permettait de bien gagner leur vie. Ils le voyaient médecin ou ingénieur. Lui méprisait leur «petite vie plate». Il préférait faire les 400 coups avec d'autres jeunes de son quartier. «Quand je faisais du sport, je côtoyais bien quelques filles. Mais c'est seulement lorsque je suis tombé dans le crime que j'ai commencé à baiser à profusion!» explique-t-il sans détour.

Ses parents ont tout fait pour le remettre sur le droit chemin: voyage au Maroc toutes dépenses payées, logement fourni, offre d'un emploi stable dans leur commerce. «C'est vrai que je n'ai pas le profil du gangster que les Montréalais imaginent. Ça prouve que personne n'est à l'abri», souligne Ziad à La Presse.

Son histoire donne raison à l'adage «la prison est l'école du crime». Envoyé au centre jeunesse dès l'âge de 14 ans, il y croise pour la première fois de «vrais» gangsters.

«Là-bas, les gars avaient de l'expérience, et moi, j'avais une grande soif d'apprendre.»

À 18 ans, un braquage raté l'envoie au pénitencier pour trois ans. Il atterrit dans «la jungle» - une aile du pénitencier Leclerc qui abritait principalement des détenus d'origine étrangère: Haïtiens, Jamaïcains, Arabes. En prison, il se lie d'amitié avec des Haïtiens de Montréal-Nord dans l'entourage des Master B, ancêtres des Bo-Gars, gang d'allégeance rouge devenu les Bloods aujourd'hui. À sa sortie, il se décrit comme «une bombe à retardement prête à exploser».

Sans retour

La bombe explosera le 17 décembre 1995. Avec trois complices, il décide de venger l'ami d'un ami, un certain Dread, rouge confiné à un fauteuil roulant après s'être fait tirer dessus par un gang rival, les CDP. Ce soir-là, des personnes d'allégeance bleue sont réunies pour un baptême dans le secteur du boulevard Pie-IX, le coeur de leur fief.

«Pour moi, c'était l'occasion de me faire un nom», dit-il. Il rêve d'étrenner son nouveau jouet, sa mitraillette Uzi. Le livre raconte la suite des événements de manière très crue, comme si on était dans la tête du tueur.

Durant les 10 premières années de sa peine, Ziad n'a pas fait d'efforts pour se réhabiliter. Au contraire, il faisait du trafic de drogue entre les murs de la prison. Il savait qu'il ne pourrait pas être libéré avant l'âge de 47 ans. «Je me disais: ma vie va être finie, à 47 ans. Je serai un vieillard. Aujourd'hui, à 36 ans, je me dis que ça ne sera pas si pire, 47 ans», lance-t-il en riant.

Quand La Presse lui demande comment il croit que son livre sera reçu dans le milieu des gangs, Ziad avoue qu'il est nerveux: «Je dis tout haut ce que bien des gars de gang pensent tout bas. Avouer ses faiblesses, ça ne fait pas très gangster. Je suis un humain. Je ne suis plus un gangster.»

Moi, Ziad, soldat des gangs de rue. Vincent Larouche, éditions Les Intouchables, 184 pages.