On n'a jamais su qui était le tueur en série Zodiac, qui a terrorisé la Californie dans les années 60, et il est sans doute mort aujourd'hui. Mais son histoire a surgi de surprenante façon au procès de Pascal Beaudoin, au palais de justice de Montréal, pour le meurtre d'un antiquaire.

L'antiquaire Robert Ness, 62 ans, est mort étouffé par sa propre langue le 16 octobre 2007, parce que six tours de ruban adhésif en toile lui comprimaient la bouche de façon très serrée. Treize tours du même matériau enserraient son cou. Il est mort dans son logement de la rue Notre-Dame Ouest. L'appartement était sens dessus dessous, des objets avaient disparu et le mot «ZODIAK» était gravé sur un mur de la cuisine.

Les policiers ont pensé que ce graffiti faisait peut-être référence au film Zodiac, sorti en salle quelques mois plus tôt. Le film, dans lequel joue Robert Downey Jr., relate une facette de la chasse à l'homme visant à coincer le tueur, qui se plaisait à envoyer des messages codés au sujet de ses crimes.

Au procès de Beaudoin, qui s'est ouvert il y a quelques semaines, le procureur de la Couronne Louis Bouthillier a tenté de mettre en preuve le film en question. Pendant deux heures et demie, la salle d'audience s'est donc transformée en salle de cinéma. Le juge Jerry Zigman, les avocats et l'accusé ont visionné le film à l'insu du jury. Le magistrat n'a pas trouvé que c'était un très bon film. Il a finalement refusé cette preuve, dommageable et sans valeur selon lui, si bien que le jury a entrepris ses délibérations, hier, sans rien savoir de cette histoire de film.

Agresseur en série?

Le jury ignore un autre aspect de cette affaire, que Me Bouthillier a tenté de mettre en preuve, encore là sans y parvenir: Beaudoin est soupçonné d'avoir commis des agressions en série dans le milieu homosexuel. Après son procès pour le meurtre de l'antiquaire, l'homme de 37 ans sera jugé pour 10 agressions contre autant d'hommes survenues entre le 9 juillet et le 15 septembre 2007, à Montréal.

Selon la preuve recueillie par les policiers, le modus operandi était à peu près toujours le même: les 10 hommes, dont un prêtre, qui ont accepté d'emmener Beaudoin chez eux ou de passer un peu de temps avec lui, ont été drogués à leur insu avec de l'Ativan ou un médicament du genre. Ils se réveillaient plusieurs heures plus tard complètement hébétés, pour s'apercevoir qu'ils avaient été détroussés. Ils n'avaient cependant pas été violentés. Beaudoin vendait ensuite la marchandise à des brocanteurs. La preuve révèle aussi que, entre le 3 juillet et le 3 août 2007, Beaudoin a visité huit cliniques médicales et a réussi à se faire prescrire 90 comprimés d'Ativan.

À la demande de la défense, le juge Zigman a écarté cette preuve d'«actes similaires». Selon lui, cela aurait seulement démontré que Beaudoin est un individu dangereux, et il y a trop de différences entre ces agressions et le meurtre de M. Ness.

Mais justement, qu'en est-il de ce meurtre?

Ramener des conquêtes

Même s'il était marié depuis au moins 20 ans, l'antiquaire Ness était ouvertement homosexuel et fréquentait le quartier gai. Il lui arrivait de ramener ses conquêtes à la maison. Sa femme ne vivait plus avec lui, mais elle habitait tout près et allait chez lui chaque jour pour faire le ménage. Ils travaillaient ensemble dans la boutique d'antiquités, au rez-de-chaussée de la maison de M. Ness. C'est elle qui a trouvé le cadavre de l'antiquaire, dans l'avant-midi du 16 octobre 2007. Il gisait sur le lit, vêtu seulement d'un pantalon.

Quelques heures avant sa mort, soit le soir du 15 ctobre, M. Ness était allé souper au restaurant avec M. Beaudoin, selon la preuve de la Couronne. Ensuite, les deux hommes sont allés chez M. Ness. Ce dernier n'a pas été drogué, mais son alcoolémie était assez importante. De l'ADN de Beaudoin a été trouvé en différents endroits de l'appartement de M. Ness, notamment dans du vomi dans la cuvette des toilettes ainsi que sur des mégots.

Dans la journée du 16 octobre, certains des objets volés chez M. Ness ont été vendus à un autre antiquaire par un homme qui, selon la Couronne, est Beaudoin. Ce dernier a été arrêté huit jours après le meurtre, en possession d'un stylo Montblanc et d'une loupe ayant appartenu à la victime.

L'accusé n'a pas présenté de défense, si bien que le jury ne sait rien de lui. Son avocate, Me Marie-Josée Bellemare, table sur un problème d'identification. Certes, l'ADN démontre que Beaudoin est allé chez M. Ness, mais quand? La preuve permettra-t-elle de conclure que Beaudoin a tué M. Ness sans préméditation, comme le dit l'accusation? C'est au jury de décider.

Photo la presse

En plus du meurtre de Robert Ness, Pascal Beaudoin est aussi soupçonné d'avoir commis des agressions en série dans le milieu homosexuel.