Victime d'une tentative de meurtre survenue en plein jour au début de l'été à Montréal-Nord, un ex-chef de gang reconverti en travailleur de rue a refusé de témoigner contre son présumé agresseur lié au gang des Bloods, au procès de ce dernier, hier, au palais de justice de Montréal.

Qu'à cela ne tienne, la Couronne a fait jouer un enregistrement vidéo dans lequel la victime raconte à la police les circonstances de cette tentative de meurtre. Depuis qu'un leader du gang des Rouges, Chénier Dupuy, est en prison pour une histoire de trafic de drogues, Philistin Paul, surnommé Crazy dans le milieu des gangs, chercherait à asseoir son autorité comme «boss» du quartier, selon la victime.

On voit dans la vidéo un Beauvoir Jean déterminé à «aller en cour» pour faire «payer Philistin Paul pour ses actes». «Il ne fait rien dans la vie à part écoeurer tout le monde. Voyons donc, essayer de m'enlever ma vie comme ça, alors que je travaille pour améliorer le quartier», a dit la victime aux policiers dans cet enregistrement tourné le soir de la tentative de meurtre.

Vers 18h15 le 4 juin dernier, M. Jean est intervenu auprès de deux jeunes qui se disputaient à l'angle des rues Pascal et Lapierre, secteur où une émeute a éclaté deux ans plus tôt à la suite de la mort de Fredy Villanueva. C'est alors que l'accusé se serait invité dans la conversation. Il aurait asséné un coup de poing au travailleur de rue, puis aurait reculé de quelques pas pour mieux pointer son arme vers lui. «Il a crinqué son gun vers moi et m'a dit: «Je vais te tirer.» J'ai dit: «Tu veux me tirer, ben tire»», a indiqué la victime dans sa déclaration.

Philistin Paul aurait alors tiré un premier coup de feu sans atteindre Jean, qui s'en est sorti indemne. Puis en tentant de camoufler son arme dans son pantalon, l'accusé se serait tiré une balle dans une cuisse. Il a été arrêté ce soir-là dans un hôpital mont-réalais où il a été soigné pour une blessure par balle. Les policiers ont aussi trouvé une douille sur la scène du crime.

Alors que plusieurs personnes se trouvaient sur les lieux, aucun témoin n'a voulu collaboré avec la police à l'exception de Jean. Du moins jusqu'à hier. Il devait être le premier témoin à charge au procès devant juge seul de l'homme de 32 ans. Paul est inculpé de tentative de meurtre, de possession illégale d'une arme à feu à autorisation restreinte et de bris de probation. Or, la victime a imploré le juge Jean-Paul Braun de ne pas l'obliger à témoigner.

«Depuis quatre ans, j'aide les jeunes à ne pas se retrouver en prison, à retourner à l'école. Je ne suis pas là pour faire condamner un jeune. J'ai travaillé à nettoyer mon nom», a plaidé Jean. Aujourd'hui âgé de 45 ans, Beauvoir Jean a fondé le premier gang de rue à Montréal, les Master B, dans les années 80. Son changement de vie est récent.

Après l'avoir entendu plaider, le magistrat a déclaré Beauvoir Jean «témoin hostile» tout en lui soulignant qu'il devrait vivre avec son «cas de conscience». De son côté, Jean a accusé les enquêteurs de l'avoir menacé de le jeter en prison s'il ne venait pas témoigner.

Les enquêteurs, spécialistes de la lutte contre les gangs de rue, avaient prévu le coup en produisant la déclaration vidéo assermentée du témoin. «Ce n'est pas la première fois que je fais affaire avec la famille Paul», a témoigné le sergent-détective Patrick Santerre du Service de police de la Ville de Montréal, hier. Les frères Miguel, Grégoire, Philistin et Jocelyn Paul ont eu toutes sortes de démêlés avec la justice liés à des incidents de violence au cours des dernières années.

Dans sa déclaration vidéo, Beauvoir Jean jure n'avoir jamais fait l'objet de menace ou de pression de la part de policiers. Ce sont plutôt les «amis de Crazy» qui lui ont demandé de ne pas porter plainte. Le travailleur de rue du Café jeunesse multiculturel de Montréal-Nord ajoute même que c'est son devoir de le dénoncer à la police pour «montrer le bon exemple aux jeunes». Le procès se poursuit le 10 novembre.