La juge ne voulait pas les voir. La défense non plus. Et le public ne devait surtout pas les regarder.

Mais la Couronne a insisté: la juge ne pouvait pas déterminer la peine à imposer au pédophile Richard Reber, 51 ans, sans visionner les vidéos qu'il a tournées lui-même, où on le voit en train de violer une fillette. Ces scènes d'horreur ne pouvaient pas seulement être décrites. D'autant moins que l'accusé a distribué ces vidéos par internet à d'autres pédophiles.

«Une image vaut 1000 mots», a insisté la procureure Isabelle Grondin devant la juge Céline Lamontagne, hier, au palais de justice de Montréal. La juge a fait sortir les journalistes et le public avant de visionner les vidéos.

La victime de Reber avait 4 ans lorsqu'il a commencé à la violer. «Il a tout fait, avec cette enfant-là», a brutalement résumé la poursuite. L'enfant avait 6 ans quand son calvaire a pris fin. Combien de fois a-t-elle été agressée? «Cent fois. Mille fois», a dit elle-même la fillette aux enquêteurs.

Dans un rapport de l'institut Philippe-Pinel, Reber, célibataire et sans enfant, est décrit comme un être introverti et narcissique qui n'a jamais réussi à établir des relations significatives avec d'autres adultes. Dans cette évaluation préparée au mois de mai dernier, la psychiatre Renée Fugère recommande qu'il soit déclaré délinquant à contrôler. Cela ferait en sorte qu'il ferait l'objet d'une surveillance pendant une période maximale de 10 ans après sa sortie de prison.

Problèmes d'alcool et conjugaux

Reber est né à Montréal de parents d'origine suisse. Son milieu familial véhiculait de bonnes valeurs, d'après les confidences qu'il a faites à son agente de probation. Enfant, il n'a pas été victime de violence ni d'agression sexuelle. Il est devenu alcoolique à l'adolescence, un problème qu'il n'a toujours pas réglé. Il a d'ailleurs des antécédents de conduite avec les facultés affaiblies.

À 24 ans, Reber commet une tentative de suicide «théâtrale» dans l'espoir de reconquérir une femme, dit le rapport de l'institut Pinel. Il n'a jamais vécu avec une femme. Plus les années passent, plus il s'isole du reste de la société. Au début des années 2000, il découvre les sites internet de pornographie juvénile, auxquels il consacre beaucoup de temps.

À la même époque, il commence à être attiré par les amies de sa demi-soeur (née de la seconde union de son père), alors adolescente. Elle s'est suicidée à l'âge de 18 ans. Reber a précisé à son agente qu'il ne l'avait jamais agressée.

Pour gagner sa vie, Reber a notamment travaillé en construction. Quelques mois avant de se faire arrêter, il a créé sa propre entreprise d'illustration technique.

Sans la collaboration étroite des enquêteurs canadiens spécialisés dans la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants, la victime serait encore prisonnière de son calvaire. La police de Montréal compte une dizaine d'enquêteurs qui traquent les pédophiles. Le sergent-détective Claudio Del Corpo est l'un d'eux. C'est lui qui a expliqué à la juge Lamontagne, hier, comment les enquêteurs, des as de l'informatique, ont coincé Reber.

Le 7 mars 2009, un policier de Toronto, Chris Purchas, est à la recherche de pédophiles qui se servent de logiciels de partage pour échanger de la pornographie juvénile par internet. Leur code est PTH, pour pre-teen hardcore. L'enquêteur tombe sur un usager qui possède près de 300 fichiers. Il réussit à en télécharger 15, la plupart de pornographie juvénile. Leur propriétaire est un résidant de Pointe-Claire: Richard Reber. Les enquêteurs de Montréal prennent alors le relais.

En fouillant le domicile de Reber, les policiers trouvent un ordinateur avec une quantité «énorme» de matériel crypté. Sans la collaboration de l'accusé, ils n'arrivent à en décrypter qu'une petite partie. Dans l'une des vidéos, on voit un bébé de 6 mois se faire pénétrer. Dans une autre, on enseigne aux pères comment agresser leur enfant sans éveiller les soupçons de leur femme.

À ce moment-là, les policiers ne soupçonnent pas encore que Reber fabrique son propre matériel. Le 20 mars, la poursuite l'inculpe de possession et de distribution de pornographie juvénile. Il est mis en liberté sous conditions. Mais les policiers continuent à analyser le contenu de son ordinateur et de son caméscope. Ils y découvrent deux vidéos où Reber agresse la fillette. Dans une scène, il la force à regarder des agressions d'enfants tout en la caressant.

Reber est arrêté de nouveau le 18 juin. Cette fois, il reste détenu. La police ne connaît pas encore l'identité de la victime. L'accusé refuse de la dévoiler. Les enquêteurs finiront par le découvrir grâce à des indices qu'on ne peut révéler en raison d'un interdit de publication.

»Dressée» pour être un objet sexuel

Dans les mots d'une enfant de 6 ans, la fillette racontera avec beaucoup de détails les agressions dont elle a été victime. Six mois plus tard, la preuve contre Reber sera renforcée par une perquisition policière menée à l'autre bout du pays, en Colombie-Britannique. Parmi les fichiers d'un collectionneur de pornographie juvénile, il y a d'autres vidéos de Reber en train d'agresser la petite fille.

«La victime a été dressée par l'accusé afin qu'elle devienne son objet sexuel», selon la poursuite. Devant cette preuve accablante, Reber a reconnu sa culpabilité en décembre dernier sous neuf chefs d'accusation liés à des crimes sexuels.

Reber est convaincu que sa victime était amoureuse de lui. «Il tient un discours disculpatoire. Il présente la jeune fille comme participant aux actes rapportés alors que c'est lui-même qui l'avait initiée depuis longtemps à des scénarios de sexualité déviante via internet», écrit la psychiatre Fugère.

La victime, qui a aujourd'hui 7 ans, souffrirait de divers problèmes de comportement. L'accusé a brièvement témoigné, hier, pour demander pardon. «Je lui souhaite d'être capable de retrouver une enfance normale», a-t-il dit en anglais. Dans l'assistance, la mère de la victime fusillait l'accusé du regard. À sa sortie de la salle d'audience, elle a chaudement remercié la procureure et les enquêteurs.

La Couronne réclame 13 ans d'emprisonnement. De son côté, la défense estime que Reber, s'il se soumet à une thérapie pour délinquant sexuel, devrait passer de six mois à deux ans derrière les barreaux. Le pédophile refuse qu'on lui appose l'étiquette de délinquant à contrôler. Il est toutefois disposé à suivre une thérapie. La psychiatre de l'institut Pinel qui l'a évalué qualifie son sentiment de culpabilité de «superficiel» pour l'instant. La juge Lamontagne prononcera la peine le 25 octobre.