Les récentes arrestations à Ottawa rappellent que la menace terroriste, en particulier islamiste, est loin de s'amenuiser au Canada. Pourtant, la Sûreté du Québec a démembré son Service de la lutte contre le terrorisme (SLCT), créé à coups de millions après les attentats du 11 septembre 2001 et qui était considéré comme un modèle du genre.

La «transformation» de cette unité, entamée l'automne dernier, suscite l'incompréhension dans les rangs de la SQ ainsi que dans le milieu de la lutte contre le terrorisme, où l'on préfère employer le mot «démantèlement». Dirigée jusqu'alors par le capitaine Mario Smith, l'équipe d'une trentaine de policiers du SLCT a été éclatée, certains de ses policiers spécialisés réaffectés, selon ce que La Presse a appris auprès de plusieurs sources.

Il n'y aurait plus qu'un des quatre représentants de la SQ aux bureaux de la GRC à Montréal; le groupe d'analystes a subi une cure minceur, et l'équipe de filature du service est souvent affectée à d'autres cibles. Quant à Mario Smith, il a été promu dans un autre service.

Le SLCT était une entité autonome relevant des enquêtes criminelles. Elle disposait de bureaux sécurisés au quartier général de la rue Parthenais, à Montréal.

La nouvelle structure, appelée «Division de la lutte au terrorisme et de la menace active» a été fondue dans le Service des enquêtes sur les crimes contre la personne, qui enquête sur les meurtres et les agressions. Auparavant, les deux services étaient au même niveau dans l'organigramme. Selon nos sources, il n'y aurait plus grand monde pour garder un oeil sur les sympathisants de la cause islamiste et leurs lieux de rencontre.

Expérience et connaissances

Certains observateurs du milieu, sous le couvert de l'anonymat, qualifient cette décision d'absurde. «Le terrorisme n'est pas une science pure», dit l'un d'eux. Maintenir une équipe d'enquêteurs d'expérience spécialisés qui échangent avec leurs homologues dans le monde permet par exemple, selon lui, de suivre l'évolution du modus operandi des terroristes et d'être en meilleure posture pour anticiper ou détecter une menace. Plusieurs des membres du SLT s'étaient d'ailleurs déplacés aux États-Unis ou en France, pays frappés par le terrorisme.

Ils ne comprennent pas pourquoi la SQ semble céder du terrain au Québec pour s'en remettre au SCRS, du ressort fédéral, qui en a déjà plein les bras. Plus grave encore, on néglige le renseignement au profit de l'enquête. Or, quand on arrive à l'enquête, rappellent ces policiers, il est trop tard. Le crime a été commis.

«Au prochain attentat, on dira aux familles des victimes qu'on n'avait pas d'argent, déplore l'un d'eux avec amertume. C'est faux. Les budgets alloués au terrorisme sont encore là.»

À la SQ, on réplique que l'unité n'a pas été démantelée, mais transformée: «Certains membres ont été affectés ailleurs et plusieurs sont partis», a reconnu la porte-parole Martine Isabelle. Elle a ensuite rappelé La Presse pour affirmer que les effectifs de la nouvelle division sont les mêmes qu'avant. Selon elle, les mécontents ont simplement «mal compris la réorganisation».

L'une des conséquences de ce remue-ménage a été le retrait presque total de la SQ du dossier de l'attentat survenu à Trois-Rivières le 2 juillet contre un centre de recrutement des Forces canadiennes, revendiqué par le groupe Résistance internationaliste. Le même groupe se serait attaqué à un pylône d'Hydro-Québec en 2005 en Estrie. L'enquête est désormais entre les mains de la GRC et du SCRS.

Le SLCT a vu le jour au printemps 2002. Dès les premiers mois, il a hébergé dans ses bureaux un représentant de la police de New York (NYPD) spécialiste du renseignement terroriste (un autre est établi à Toronto). Le dernier représentant du NYPD a quitté Montréal il y a quelques semaines. Son successeur arrivera bientôt, selon ce que La Presse a appris.

La SQ est aussi partie prenante, avec le SPVM et l'Agence des services frontaliers, de l'Équipe intégrée de la sécurité nationale (EISN) du Québec, force multipartite sous la responsabilité de la GRC à Montréal.

Le succès de la lutte contre le terrorisme, surtout depuis la montée en puissance du terrorisme intérieur (homegrown terrorism) et de la radicalisation, résulte de ce qu'on appelle la «vigilance partagée» - la capacité de chacun des partenaires de maintenir sur le territoire un filet aux mailles les plus fines possible. Le but est de détecter à l'échelle locale des individus qui pourraient représenter une menace de nature terroriste.

Les exemples les plus évocateurs sont Saïd Namouh, baptisé le terroriste de Maskinongé, ou bien Omar Bulphred et Asim Ibramigov, à Montréal.

Présente jusqu'au fonds des rangs québécois, la SQ avait donc son rôle à jouer en raison de son expertise locale, tout comme le SPVM à Montréal.

«On peut mettre au jour des réseaux terroristes par la petite criminalité, le trafic de faux papiers, explique un ex-spécialiste canadien de la lutte contre le terrorisme. N'oublions pas qu'Ahmed Ressam et sa bande de la cellule islamiste de Montréal ont d'abord été de petits voleurs d'ordinateurs portables au centre-ville de Montréal.»

La Presse a voulu obtenir les commentaires de Robert Lafrenière, aujourd'hui sous-ministre de la Sécurité publique, qui était officier supérieur à la SQ lors de la création du SLCT, mais cette entrevue nous a été refusée.

L'ex-mandat

Voici la définition du mandat du Service de la lutte contre le terrorisme tel que l'énonçait le Plan d'organisation supérieure de la SQ, publié en septembre 2004 :

« Ce service oriente et coordonne les activités tactiques et stratégiques reliées à la prévention, à la préparation et à la réponse aux actes terroristes commis sur le territoire québécois, en partenariat avec les organismes gouvernementaux, civils et policiers.

De plus, ce service réalise et coordonne les enquêtes sur les crimes commis en soutien aux activités terroristes nationales ou internationales, et qui se produisent sur l'ensemble du territoire québécois. Il assure à cet effet une liaison avec les districts et les unités de la Sûreté, de même qu'avec les différents services de police et les organismes oeuvrant dans le domaine de la détection des crimes et événements à caractère terroriste.

Ce service participe enfin aux efforts nationaux visant directement les enquêtes de crimes motivés par des objectifs terroristes sur tout le territoire québécois. »