Un tableau que Jean Lafleur, acteur vedette du scandale des commandites, aurait emprunté en 1999 dans l'idée de l'acheter, et qu'il aurait négligé de payer, réapparaît et sème la controverse.

Ce tableau de l'artiste René Brochard figurait jusqu'à hier dans le catalogue de la Galerie 2000, qui en demandait 40 000$. Dean Brisson, qui se décrit comme un homme d'affaires oeuvrant dans le milieu artistique depuis 20 ans, affirme être le véritable propriétaire de ce tableau. Il s'est adressé à la Cour du Québec pour faire saisir avant jugement l'oeuvre, qui représente un pianiste de concert, et qui s'intitule Gérald Munch, dans Chopin, polonesa fantasia en la bémol, 1969 et 1985.

À la Galerie 2000, on ignorait tout de la controverse entourant ce tableau, jusqu'à ce que, hier matin, un huissier vienne, rue Saint-Paul, pour saisir l'oeuvre qui fait 4 pieds sur 4 pieds. «On a remis le tableau à l'huissier. On n'ira pas en cour payer des avocats pendant des années pour ça. Pour nous, le dossier est clos. Mais on trouve ça un peu bizarre, cette histoire, que M. Brisson se manifeste après 12 ans. Nous, on a acheté ce tableau il y a environ quatre mois à l'Hôtel des encans», a indiqué un porte-parole de la galerie, qui a refusé de donner son nom. Il a indiqué qu'il s'en allait justement demander des explications au commissaire-priseur Iegor de Saint-Hippolyte. Ce dernier a refusé de discuter de ce sujet avec La Presse. «C'est devant les tribunaux. C'est la justice qui va décider qui est le propriétaire», a dit M. de Saint-Hippolyte.

De Brochard, à Brisson, à Lafleur

M. Brisson, de son côté, affirme avoir acheté le tableau du peintre Brochard lui-même, au coût de 1500$ ou 1800$. L'artiste avait son studio juste en face de l'appartement que M. Brisson louait avenue Coloniale, à Montréal, en 1988.

M. Brisson raconte par ailleurs qu'il a effectué différents travaux graphiques pour Jean Lafleur de 1997 à 1999. Ce dernier était alors propriétaire de l'agence Lafleur Communication marketing inc, qui brassait des affaires en or avec les commandites du gouvernement du Canada, comme on l'a appris depuis.

Quoi qu'il en soit, selon les dires de M. Brisson, en 1999, Jean Lafleur souhaitait acquérir le Brochard. M. Brisson le lui aurait laissé en consignation à son bureau de la place d'Armes, afin de lui donner le temps de se décider.

Mais voilà, M. Brisson affirme ne plus avoir eu de nouvelles de M. Lafleur par la suite. Il soutient avoir téléphoné à des «dizaines» de reprises. À quelques occasions, M. Brisson aurait réussi à parler à M. Lafleur, mais celui-ci passait la communication à son assistant, Stéphane Guertin, pour régler la question. Au cours de l'année 2000, M. Guertin aurait indiqué à M. Brisson que le tableau avait été envoyé à l'entrepôt de M. Lafleur, et qu'il fallait faire des vérifications pour le retrouver. Cette conversation n'a pas donné les résultats escomptés. Par la suite, M. Lafleur a vendu l'agence, puis le scandale des commandites a éclaté.

M. Brisson n'a jamais revu son tableau. C'est donc avec stupéfaction que, le 5 août dernier, il dit avoir constaté qu'il apparaissait dans le catalogue de la Galerie 2000.

M. Brisson n'avait pas réussi à joindre M. Lafleur pendant toutes ces années, mais cette fois, il a réussi à lui parler le 9 août. M. Lafleur lui aurait dit que plusieurs de ses biens avaient été saisis, et que le tableau en faisait sans doute partie. Il s'est aussi souvenu qu'il n'avait pas payé le tableau, assure M. Brisson.

Condamné pour fraudes, Jean Lafleur a fait de la prison et a fait une faillite dont il a été libéré en septembre dernier. Me Pierre Lecavalier, qui représentait le Procureur général du Canada dans la faillite de M. Lafleur, a confirmé que le Brochard avait été vendu par le syndic, avec une vingtaine d'autres tableaux trouvés dans un entrepôt de Farnham. La vente de ces tableaux, qui avaient appartenu à Lafleur (ou à son entreprise), a rapporté 20 000$ en tout.

Le tableau Gérald Munch, dans Chopin, polonesa fantasia en la bémol, 1969 et 1985.