«Faut pas le dire. Si tu le dis à ta mère, elle ne te croira pas et elle ne t'aimera plus.» C'est ce que le père de la petite Jocelyne avait l'habitude de lui répéter, quand il finissait d'abuser d'elle sexuellement en cachette, «en dessous des couvertes».

L'homme n'avait pas tout à fait tort. Pendant longtemps, Jocelyne (nom fictif) s'est tue. Et quand elle en a parlé à sa mère, celle-ci a refusé de la croire. «Tu as rêvé», puis «tu as lu ça dans un livre», s'est offusquée la mère. Ce n'est que plusieurs décennies plus tard qu'elle a fini par admettre l'inadmissible. Hier, dans une salle d'audience du palais de justice de Montréal, mère et fille se tenaient fermement par la main, pendant que les avocats discutaient du nombre d'années de prison qu'il convient maintenant d'imposer à l'homme incestueux. Au terme de son procès, en avril dernier, l'homme de 70 ans a été déclaré coupable d'inceste et d'attentat à la pudeur, gestes qui se sont produits entre 1964 et 1973. Il n'a pas témoigné à son procès, mais dans une déclaration qu'il avait donnée à la police après son arrestation, il reconnaissait qu'il s'était livré à de nombreuses séances de masturbation avec sa fille. Mais c'est la petite qui engageait ses séances, se défendait-il.

L'homme a fait subir des sévices sexuels à sa fille de l'âge de 6 ans à 14 ans. Mais ce n'est qu'en 2007, alors qu'elle voguait vers la cinquantaine, que Jocelyne a trouvé la force de le dénoncer à la police. Les gestes, masturbations, fellations et cunnilingus, se produisaient la plupart du temps quand la mère allait travailler. Le père a poussé l'odieux jusqu'à avoir une relation complète avec Jocelyne, alors que celle-ci était adolescente. La jeune fille s'était alors plainte de douleurs et le père avait cessé ses agressions.

Les séquelles de ces années d'abus sont nombreuses pour Jocelyne, à commencer par ce mal de vivre insidieux et permanent qui l'habite, et qui l'a conduite à commettre une tentative de suicide. «Il n'y a pas de mot assez grand pour décrire ce que cette personne, mon père, a fait. Il a gâché mon enfance, mon adolescence, ma vie de jeune femme, de femme adulte et de mère de famille», a-t-elle dit devant le juge Claude Leblond, hier.

Le procureur de la Couronne Marc-André Péloquin recommande une peine de quatre à cinq ans de prison, tandis que Me Charles Benmouyal, en défense, suggère de 24 à 30 mois. Le juge Leblond rendra sa décision le 12 octobre. D'ici là, l'accusé devra mettre de l'ordre dans ses affaires et prendre les arrangements qui s'imposent, car il sera à coup sûr condamné à une peine de prison. Le septuagénaire vit maintenant seul avec son chat dans un logement et il ne semble pas saisir l'urgence et la gravité de la situation.

De son côté, Jocelyne ne regrette absolument pas d'avoir porté plainte contre son père, et se dit libérée d'un grand poids. «Au début, la prison, je n'y tenais pas. Mais là, j'aimerais qu'il sache lui aussi ce que c'est d'être renfermé. Moi, je suis très renfermée, vous ne me croiriez pas tellement je suis renfermée et difficile d'approche» a-t-elle confié après l'audience.