Avec une facilité déconcertante, des Québécois et des Ontariens d'origine sri-lankaise ont fabriqué de faux passeports canadiens pour faire entrer illégalement des gens au pays, notamment des Sri-Lankais.

Cinq hommes âgés de 40 à 51 ans ont reconnu leur culpabilité à des accusations de fabrication de faux passeports et de complot, hier, au palais de justice de Montréal. Certains ont aussi reconnu avoir aidé une personne à entrer illégalement au Canada.

Ils font partie d'un réseau de fraudeurs plus vaste qui a été démantelé l'automne dernier dans les régions de Montréal et de Toronto dans le cadre de l'enquête policière C-Devancer.

Des perquisitions avaient alors eu lieu dans des garderies, des dépanneurs et des résidences privées. La Gendarmerie royale du Canada, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal avaient collaboré à l'enquête.

Des Sri-Lankais pouvaient débourser de 25 000 à 30 000 $ pour entrer au Canada grâce à ce réseau criminel. Les clients voyaient là un «raccourci» pour faire leur demande d'asile, a expliqué le procureur fédéral, Me Denis Gallant, à la juge Manon Ouimet de la Cour du Québec. «Le faux passeport servait seulement à entrer au Canada. Généralement, les clients détruisaient le document en vol ou le cachaient pour revendiquer le statut de réfugié en arrivant ici», a souligné la poursuite.

Fabriquer un faux passeport canadien exige de nombreuses relations. Les faux doivent obligatoirement être confectionnés à partir de vrais passeports qui sont volés ou vendus par des «gens complaisants», a décrit Me Gallant. Leur fabrication ne peut pas se faire de A à Z par la même personne, selon la preuve. Des gens se spécialisent dans les tampons, d'autres, dans la modification des photos.

Le «complot de Paris»

En juin 2009, la police a découvert le «complot de Paris» en interceptant plusieurs conversations en tamoul entre les accusés Jeyaseelan Karthikesu, alias Ranka, Sutharsun Ponniah, Nameez Abdul Gaffoor et Sirithar Thuirairajah. Le premier vit à Montréal, les trois autres, dans la région de Toronto.

Nameez Abdul Gaffoor est celui qui a trouvé un client au trio, un «gars de Paris». Il leur en promet d'autres s'ils réussissent leur coup. C'est Ranka qui fabriquera le faux passeport et le livrera au client, d'origine sri-lankaise, qui se trouve en France. Il se servira d'un vrai passeport appartenant à un certain Erik Thompson-Rinfret. Devant la difficulté de transformer le Blanc de la photo en Asiatique à la peau foncée, il confie ce travail à un autre complice. Ponniah, lui, organise l'itinéraire du livreur en Europe avec les conseils du quatrième accusé, Thuirairajah.

Ranka se rend bel et bien à Paris pour remettre le faux passeport. Lorsque le client est interpellé par les autorités françaises, le 15 août, alors qu'il s'apprête à prendre l'avion pour Montréal, les faussaires n'y comprennent rien. Dans des conversations téléphoniques enregistrées par la police, Ranka et Ponniah se demandent ouvertement ce qui a bien pu se passer.

Le «complot de Lacolle»

Les policiers ne les arrêtent pas tout de suite. Ils veulent accumuler davantage de preuves. Le réseau de faussaires tombe dans le panneau une autre fois, lors du «complot de Lacolle». Cette fois, leur client est un contrôleur aérien du Sri Lanka qui est aux États-Unis pour assister à un congrès. Ranka est chargé d'aller le chercher pour lui faire passer la frontière à Lacolle.

Ranka amène ensuite le Sri-Lankais dans un motel de Montréal, où un minibus vient le cueillir pour le conduire à Toronto avec d'autres compatriotes. Le 25 septembre 2009, les policiers interceptent le véhicule en route vers la Ville reine. Le client s'empresse de demander le statut de réfugié.

Ranka et les trois autres ont finalement été arrêtés le 25 novembre dernier, en même temps qu'une trentaine d'autres personnes.

La «filière tamoule» cachait son matériel dans le sous-sol du dépanneur d'un complice, Thevan Sabaphaty, rue Lajeunesse, à Montréal. Une centaine de vrais passeports canadiens y ont été découverts.

«Les accusés ont fait cela avec une facilité déconcertante. On va demander des peines d'emprisonnement fermes puisqu'il faut préserver l'intégrité de nos frontières. Ils ont jeté le discrédit sur notre système de demande d'asile. En fraudant le système, leurs clients prennent la place de gens qui attendent leur tour depuis des années», a indiqué Me Gallant à La Presse à sa sortie de la salle d'audience.

Les cinq hommes sont citoyens canadiens et n'avaient pas d'antécédents judiciaires significatifs. Ranka et Nameez Abdul Gaffor sont sans emploi. La juge Ouimet les a condamnés, hier, à purger respectivement 21 et 3 mois d'emprisonnement à ce jour. C'était une suggestion commune de la Couronne et de la défense, représentée par Me Joseph Laleggia. La magistrate a tenu compte du temps passé en détention préventive.

Quant à Ponniah et Thuirairajah, la Couronne réclame une peine d'emprisonnement ferme, alors que la défense suggère une peine à purger dans la communauté. Le propriétaire du dépanneur, Sabaphaty, devrait obtenir une peine avec sursis. Le dossier retourne devant la Cour demain.