Un criminaliste de Montréal, Me Pierre Panaccio, aurait entretenu des liens étroits avec ses clients Hells Angels, au point d'avoir partagé un bureau avec l'un d'eux, Robert Bonomo, arrêté l'an dernier dans l'opération SharQc.

C'est du moins ce que le délateur Martin Roy, ex-membre des Evil Ones (club-école des Hells sur la Rive-Sud), a décrit, hier, lors de son témoignage au centre judiciaire Gouin. La Couronne a choisi de le faire témoigner dans le cadre d'une requête préliminaire en préparation des superprocès découlant de la rafle policière historique qui a secoué les motards criminels du Québec.

 

La Couronne prétend que Me Panaccio est en conflit d'intérêts, car il a déjà défendu Martin Roy ainsi qu'un autre motard qui a retourné sa veste, Sylvain Boulanger. La poursuite veut que l'avocat d'expérience se retire du dossier puisque ses deux anciens clients seront des témoins du ministère public dans les superprocès. Me Panaccio conteste cette requête et veut continuer à défendre ses trois clients actuels: Robert Bonomo, Yves Leduc et Claude Pépin.

Robert Bonomo, membre fondateur du chapitre de Montréal des Hells Angels, «travaillait pour Me Panaccio» lors de la préparation des superprocès découlant de l'opération Printemps 2001, a indiqué Martin Roy. Bonomo avait conçu un logiciel pour faciliter la consultation de la preuve pour «ses frères HA comme Dick Mayrand et Luc Bordeleau» incarcérés, a souligné le délateur.

Martin Roy est allé plus loin en affirmant que l'avocat de défense lui aurait demandé de faire de «la watch» - de la surveillance - pour assurer la sécurité de Bonomo lorsque ce dernier venait travailler au bureau.

Martin Roy a commencé à côtoyer des Hells au début des années 90. Il lui est arrivé de croiser Me Panaccio dans l'ancien château des Lavigueur à Laval racheté par un club-école des Hells du chapitre de Montréal, a-t-il dit hier, interrogé par la procureure de la Couronne, Me Isabelle Bouchard.

Parmi ses activités criminelles, Roy s'adonnait au prêt usuraire. Son bureau était situé dans le même immeuble que celui du cabinet de Me Panaccio. Après l'opération Printemps 2001, qui a permis de démanteler les Nomads, l'escouade de guerre des Hells menée par Maurice Boucher, de même que sa filiale des Rockers, les motards sont devenus nerveux. Ce n'était pas bon pour les affaires. Roy avait alors des problèmes financiers, en plus d'avoir des ennuis conjugaux.

En novembre 2001, Roy s'est fait arrêter pour une histoire de violence conjugale. Les policiers ont alors découvert une arme à feu dans son véhicule. Me Panaccio l'a représenté. À la même époque, l'avocat de la défense lui a offert de louer un logement dont il était propriétaire. C'est à ce moment-là que Roy a décidé de changer de vie. Il a cogné à la porte de la Sûreté du Québec et est devenu agent civil d'infiltration.

De 2001 à 2004, Roy accumulera de la preuve pour la SQ dans le cadre du projet Ziploc, un projet d'enquête qui visait 64 personnes, dont 17 Hells. Roy fera alors plus de 300 enregistrements avec un bodypack (dispositif d'enregistrement installé sur une personne), dont une vingtaine de conversations impliquant Me Panaccio.

Martin Roy a assuré, hier, qu'il n'avait pas eu comme mission de «piéger» Me Panaccio. «J'étais autorisé à partir l'enregistrement seulement lorsque j'étais en présence de Hells Angels visés par l'enquête», a répété le délateur à maintes reprises, contre-interrogé longuement par l'avocat de Me Panaccio pour cette requête, Me Charles André Ashton. Or, il arrivait que Roy soit en présence de Hells et de l'avocat de défense.

Dans l'une de ces conversations dont la Couronne a fait entendre un extrait, hier, Me Panaccio confie à Antonio Costella, un Hells, avoir des problèmes avec une locataire qui ne paie pas son loyer. L'avocat insiste auprès de Costella sur le fait que tous deux «s'entendent ben». Costella aurait ensuite fait un signe à Roy - en mimant un coup de bâton de baseball - qu'il devait régler cela, toujours selon le témoignage du délateur. La locataire n'a toutefois jamais été passée à tabac.

Me Pierre Panaccio a refusé de commenter la requête, préférant attendre la décision du juge James Brunton chargé de trancher. Hier, le magistrat a précisé qu'il n'avait pas à «examiner le comportement de Me Panaccio en tant qu'avocat». Cette requête sert plutôt à «protéger la relation avocat-client» liée par le secret professionnel, a indiqué le juge.

L'avocat de Me Panaccio, Me Ashton, poursuivra le contre-interrogatoire du délateur aujourd'hui.