Une musulmane qui accuse deux membres de sa famille de l'avoir agressée sexuellement refuse d'enlever son niqab devant le tribunal. Elle a de son côté un groupe de femmes et compte parmi ses opposants le Congrès musulman canadien, qui ne veut sous aucune considération qu'elle garde son niqab pour témoigner. Et cela se passe en Ontario, là où l'on s'est bien moqué du Québec et de sa fixation sur les accommodements raisonnables.

Les accusés estiment inacceptable d'être poursuivis par quelqu'un qu'ils ne peuvent pas voir. Cela viole à leur avis leur droit à un procès juste et équitable.

 

Pascale Fournier, professeure à la faculté de droit de l'Université d'Ottawa, croit que cet argument ne tient pas la route. Elle fait l'analogie avec le témoignage d'une victime d'agression qui serait sourde et muette et qui devrait passer par un interprète. «Personne ne dirait alors que de ne pas pouvoir l'entendre directement brimerait le droit à une défense pleine et entière. Les tribunaux s'adaptent de diverses façons à diverses situations, et il est particulièrement important de le faire ici pour garantir l'accès de ces femmes à la justice.»

Fait à noter, ajoute Pascale Fournier, la plaignante accepte de soulever son niqab devant des femmes. Aucun problème d'identification ici, donc.

Le groupe féministe ontarien LEAF croit aussi qu'il y va de l'accès à la justice. «Les femmes qui ont été victimes d'agression sexuelle ne devraient pas être privées de leurs droits simplement parce qu'elles portent un niqab, a argué la porte-parole Susan Chapman. La question à se poser n'est pas de savoir si la plaignante peut garder son niqab, mais bien pourquoi les accusés exigent qu'elle le soulève.»

Lui demander d'enlever son niqab «l'amène à renier en plein tribunal ses convictions religieuses les plus profondes alors même qu'elle devra décrire les détails les plus intimes de ses agressions sexuelles», poursuit Mme Chapman.

Le Congrès musulman canadien soutient, lui, que le fait de permettre à la femme de garder son voile tourne le système judiciaire en ridicule et viole la valeur fondamentale qu'est l'égalité des sexes.

L'organisme relève que la femme a de toute façon déjà soulevé son voile devant des policiers et pour la photo de son permis de conduire.

C'est aussi l'argument qu'avait invoqué le juge lors de l'enquête préliminaire, argument qui avait été rejeté ensuite en Cour supérieure. La cause se trouve maintenant en Cour d'appel, et Pascale Fournier croit que la question s'en va tout droit en Cour suprême.

Pendant ce temps, le fond de l'affaire - les agressions sexuelles elles-mêmes - n'est toujours pas au menu.