Craignant qu'un bar de danseuses du centre-ville ne devienne le théâtre d'une riposte du clan de Ducarme Joseph à l'endroit d'un gang rival associé à la mafia italienne, les autorités ont fermé d'urgence l'établissement, hier. La police soupçonne ce gang ennemi d'être impliqué dans la fusillade du Vieux-Montréal, a appris La Presse.

Quelques heures après la fusillade à laquelle Ducarme Joseph venait d'échapper de justesse, d'influents membres de ce gang de rue rival se sont réunis au bar Temptation - anciennement le Cabaret château du sexe - de la rue Sainte-Catherine Ouest.

Le Service de police de la Ville de Montréal craint une réplique «imminente» à l'attentat raté du mois dernier. Ce bar est fréquenté par des criminels violents, potentiellement armés et liés aux gangs de rue, dont l'un des ennemis jurés de Joseph, Richard Goodridge, selon le SPVM.

À la fin des années 90, Ducarme Joseph et Goodridge ont fondé le gang des 67, gang de rue d'allégeance bleue, dans le quartier Saint-Michel à Montréal. Ayant la réputation de prendre trop de place, ce gang ne faisait pas l'unanimité dans la famille des Bleus. Joseph est toujours le chef d'un puissant gang, qui ne porte toutefois plus de nom à la suite d'une purge interne survenue en 2003, selon son profil criminel rédigé par la division des renseignements du SPVM.

Goodridge a été parmi les premiers à se dissocier du gang de Joseph. Il faut dire que Joseph, alias Kenny, King ou Le Parrain, s'est fait beaucoup d'ennemis au fil de ses 25 ans de carrière criminelle.

«Richard Goodridge serait devenu propriétaire d'au moins 50 % de l'établissement convoqué, en association avec des membres de la mafia italienne de Montréal, lui assurant ainsi l'exclusion de Ducarme Joseph du territoire du centre-ville et une protection contre ce dernier», peut-on lire dans l'avis de convocation de l'audition d'urgence de la Régie des alcools, des courses et des jeux du Québec.

En octobre 2008, Goodridge a échappé à une tentative de meurtre, à sa sortie d'un immeuble résidentiel de L'Île-des-Soeurs. Cette même année, une alliance impliquant Goodridge aurait été formée afin «d'exclure Ducarme des activités criminelles sur le territoire du centre-ville de Montréal et de l'assassiner», selon l'avis de la Régie.

La Section moralité, alcool et stupéfiants de la région Sud du SPVM a ainsi exhorté la Régie à recourir à cette méthode extraordinaire, puisque le bar représente un danger pour la sécurité publique. L'audience a été de courte durée. Le propriétaire du bar Temptation, Joseph Vallera, a consenti à suspendre ses activités jusqu'à nouvel ordre. «M. Vallera admet le contexte d'urgence et que la poursuite de ses activités est susceptible de mettre la vie d'autrui en danger», a résumé la Régie, qui veut empêcher la présence de Richard Goodridge et de son entourage criminalisé sur la place publique.

Tête mise à prix

Des enquêteurs de la police de Montréal ont eu vent à au moins trois reprises que la tête de Ducarme Joseph était mise à prix. Chaque fois, ils l'ont averti du danger. En septembre dernier, un policier en a discuté avec le principal intéressé. Joseph lui a confié qu'il n'était pas surpris. Il a alors fait allusion à Goodridge en parlant de «quelqu'un qu'on ne voit plus autour de lui, qui a disparu». Il a ensuite précisé que «là où il est, il ne fera plus de trouble», toujours d'après le profil criminel de Joseph déposé en cour.

La police n'écarte pas la thèse que l'attentat raté contre Joseph puisse être lié au meurtre de Nicolo Rizzuto, fils du chef présumé de la mafia montréalaise, survenu en décembre dernier. Goodridge se montrait nerveux et sur ses gardes depuis l'assassinat de Rizzuto fils en décembre et la tentative de meurtre contre Joseph en mars, selon la police.

D'où la réunion entre les murs du bar Temptation après la fusillade survenue au magasin de vêtements Flawnego dans le Vieux-Montréal, qui a fait deux morts et deux blessés.

Perte de contrôle

Même si Vallera est le propriétaire de l'établissement, il en aurait cédé le contrôle à Goodridge. Ce dernier y occupait le rôle de promoteur d'événements depuis 2009, en plus d'avoir payé de sa poche une partie des rénovations majeures réalisées récemment.

À la suite d'une perquisition faite chez lui à la fin mars, Vallera a par ailleurs été accusé de possession d'arme à feu prohibée et de stupéfiants aux fins de trafic. Il est également propriétaire du café Bistro Charland, visé par la vague d'attentats au cocktail Molotov qui a fait les manchettes dans les derniers mois.

Quant au permis du bar Temptation, il est suspendu jusqu'à ce que la Régie prenne une décision finale dans ce dossier. Outre Goodridge, le bar de danseuses était aussi fréquenté par Peter Rudolph, ancien garde du corps de Joseph. Rudolph lui servait entre autres de chauffeur. En mars 2004, il conduisait une Mercedes avec Joseph et un autre homme à bord lorsque le trio a été arrêté par l'escouade tactique du SPVM (SWAT). Joseph était armé jusqu'aux dents.

Décrit par la police comme l'homme le plus dangereux du milieu des gangs de rue à l'heure actuelle, Joseph est derrière les barreaux pour quelques mois. Il a écopé cette semaine d'un an de prison, dont il a déjà purgé l'équivalent de deux mois, pour possession d'un silencieux d'arme à feu et voies de fait armées dans le cadre d'une affaire survenue dans un restaurant du boulevard Saint-Laurent.