Les frères Lavertue, des narcotrafiquants du sud-ouest de Montréal, avaient l'habitude d'organiser chaque année une fête pour leurs clients dans un buffet de Ville Lasalle. Une moto Harley-Davidson y était tirée au sort. Un billet était remis pour chaque once de cocaïne achetée durant l'année. Les meilleurs clients avaient plus de chance de remporter le prix.

Arrêtés dans le cadre du projet Axe, les frères Jean, Patrick et Stéphane Lavertue ont reconnu leur culpabilité jeudi après-midi à des accusations de gangstérisme, de trafic de drogues et de recel d'argent devant le juge Jean-Pierre Bonin au palais de justice de Montréal. La Presse a consulté l'abondante preuve déposée à la cour durant le processus judiciaire dans laquelle on retrouve l'anecdote du tirage de la moto.

Au début de l'enquête en janvier 2006, les frères Lavertue n'étaient pas la principale cible des policiers de l'Unité mixte Sans Frontières. Les enquêteurs avaient plutôt dans leur mire Emmanuel Zéphir, un ancien membre de gangs de rue soupçonné d'entretenir des liens criminels avec la clique des Syndicate, elle-même affiliée aux Hells Angels Nomads de Maurice «Mom» Boucher.

Emmanuel Zéphir et son frère Jean-Ismaël ainsi que les deux présumées têtes dirigeantes des Syndicate, Grégory Wooley et Dany Cadet Sprinces, ont aussi été arrêtés dans le cadre du projet Axe. Dans les cas de Wooley et Cadet-Sprince, ils étaient déjà derrière les barreaux lorsqu'ils ont été accusés de nouveaux crimes. Leur cause est toujours devant les tribunaux.

En cours d'enquête, les policiers ont découvert que le clan Lavertue, dirigé par l'ex haltérophile et olympien canadien, fournissait une cinquantaine de clients en cocaïne, allant de l'once au kilogramme. Le clan Lavertue devait acheminer l'argent provenant de leurs activités criminelles vers une seconde organisation criminelle via un groupe intermédiaire.

Le chef du clan, Jean, 35 ans, entretient des liens avec des motards criminalisés du défunt groupe Rockers de Montréal, selon la preuve déposée en cour. Son centre de conditionnement physique, Gym Expert, à Verdun lui servait de lieu de rencontre quotidien avec ses associés criminels. Le clan désignait d'ailleurs des kilos de cocaïne comme des protéines.

Son bras droit est son frère Patrick. L'homme de 32 ans est chargé de rencontrer régulièrement des membres du groupe criminel intermédiaire. Le troisième frère du clan, Stéphane, âgé de 34 ans, était le comptable de l'organisation. Ce dernier est décrit comme un passionné des armes à feu. Pas moins de 16 armes à feu ont été trouvées chez-lui à Pointe-Claire au moment d'une perquisition. Deux d'entre elles n'étaient pas enregistrées, dont l'une était chargée, cachée sous son lit.

Les policiers ont filmé à plusieurs reprises des rencontres entre Jean Lavertue et le dirigeant du groupe intermédiaire. L'ex haltérophile lui remettait une «cote» destinée à une autre organisation criminelle. En échange de redevances monétaires, cette organisation criminelle permettait aux Lavertue de vendre leur cocaïne dans un vaste territoire incluant Ville-Émard, Verdun, Pointe-St-Charles, Saint-Henri, Lasalle et Lachine. Le clan avait également des clients à Brossard et à Longueuil.

Structure d'une entreprise légitime

L'organisation des Lavertue avait une structure «comparable» à celle d'une entreprise légitime, a dit le juge Fraser Martin de la Cour supérieure en refusant de mettre en liberté provisoire Patrick et Stéphane Lavertue à l'automne dernier. Jean était comme le président, Patrick le vice-président aux opérations et Stéphane le comptable, a ajouté le magistrat.

Le clan avait des heures d'affaires de 10h à 22h. Les narcotrafiquants fournissaient une voiture à chacun de leurs livreurs. Jean Lavertue exigeait de ses employés qu'aucun ne parle de leurs activités illicites au téléphone. Le chef n'était jamais en contact avec les stupéfiants. Un appartement d'un immeuble de la rue Newmarch à Verdun, propriété de Jean Lavertue, leur servait de cache de drogues. Au cours de l'enquête, les policiers y ont fait pas moins d'une vingtaine d'entrées subreptices pour accumuler de la preuve.

Si un employé se faisait arrêter, le clan payait sa caution et lui fournissait un avocat. Les employés communiquaient par code envoyé par téléavertisseur. Il y avait tellement de codes désignant les heures, les quantités et les clients que les employés avaient en leur possession une longue liste pour arriver à les déchiffrer. Une répartitrice avait même été embauchée pour transmettre les messages des clients vers un livreur de l'organisation.

Les employés recevaient une paie hebdomadaire allant de 150$ à 2000$, selon leur rôle dans l'organisation. À titre d'exemple, la répartitrice recevait 250$. Les policiers ont saisi de la comptabilité, dont les montants des paies, chez Stéphane Lavertue à Pointe-Claire en janvier 2009. Au moment de la rafle finale, le 12 février 2009, les policiers ont découvert une plantation de marijuana au chalet de Patrick Lavertue à St-Calixte.

Le clan Lavertue payait de 38 000$ à 40 000$ pour un kilogramme de cocaïne pour ensuite le revendre. Pour comprendre ses rouages, les policiers ont eu l'aide d'un ex-employé de l'organisation devenu un agent civil d'infiltration. L'identité de ce témoin repenti est protégée par une ordonnance de non-publication.





Importants moyens d'enquête

Les policiers n'ont pas lésiné sur les moyens pour coffrer les Lavertue. En quelque trois ans d'enquête, ils ont effectué quelque 580 surveillances physiques (filature) sur des gens reliés au clan. Ils ont installé trois caméras cachées et autant de GPS et de microphones pour espionner leurs allées et venues. Ils ont intercepté plus de 80 000 conversations et fait 26 arrestations liées au clan. En plus des frères Lavertue, Patrick Rondeau et Éric Laframboise ont plaidé coupable à des accusations similaires.

Rondeau était responsable de deux caches de drogues du clan. Il s'occupait de récupérer l'argent reliée à la vente de stupéfiants et de l'acheminer aux dirigeants de l'organisation. Laframboise, 29 ans, était l'un des commissionnaires de l'organisation. Il avait entre autres la responsabilité de remettre les payes aux employés du clan. Il a écopé d'une peine de cinq ans d'emprisonnement.

Au terme du projet Axe, une cinquantaine de personnes liées à trois groupes criminels ont été appréhendées. Quelque 700 policiers ont participé à l'opération conjointe du Service de police de la Ville de Montréal, du Service de police de Longueuil, de la Gendarmerie royale du Canada et de la Sûreté du Québec. Cette enquête avait également fait ressortir les liens d'amitié entre trois joueurs du Canadien, dont les frères Kostitsyn, et Pasquale Mangiola accusé de trafic de drogues, trafic d'armes et complot dans la présente affaire. Aucune accusation n'a été portée contre les trois hockeyeurs.

 

Photo: Ivanoh Demers, Archives La Presse

Perquisition à la résidence de Patrick Lavertue à Pointe-Claire, en février dernier.