André Louissaint avait 72 ans lorsqu'il a été condamné à 13 ans de prison pour le meurtre de sa femme.

«C'était un accident, dit-il en esquissant rapidement un signe de croix. La jalousie est une maladie honteuse. Ma femme me trompait, m'avilissait, m'humiliait, mais je l'aime encore.»

C'était en 2003. Aujourd'hui, il a 78 ans. Il est vieux et malade. Il passe presque tout son temps dans sa cellule au Centre fédéral de formation, à Laval.

 

Depuis 2003, il a fait le tour des pénitenciers: Rivière-des-Prairies, Donnacona, Sainte-Anne-des-Plaines, La Macaza.

Le jour, la porte de sa cellule reste ouverte. Elle donne sur un corridor beige et bleu. Le matin de notre rencontre, la prison était calme, pratiquement déserte. Les autres détenus travaillaient. Pas M. Louissaint. Il est trop malade. Il passe ses journées à lire, écouter de la musique ou regarder dehors à travers la fenêtre sale de sa cellule.

Il énumère ses maladies: arthrite, arthrose, ulcère d'estomac, asthme, cancer de la prostate, migraines, insomnie, parasite dans l'estomac, constipation aiguë. «C'est très douloureux», souligne-t-il.

Le matin, ses jambes sont dures comme des barres de fer.

Il prend 21 pilules par jour.

Il est arrivé au Québec en 1994. Il avait 64 ans. Il fuyait le régime d'Aristide. Né en Haïti, il a grandi à Port-au-Prince.

Il a six enfants, éparpillés entre les États-Unis et Haïti. «Je leur écris, mais ils ne me répondent pas», dit-il.

Il a une soeur qui vit à New York. «C'est une vieille conne», tranche-t-il.

Il ne reçoit jamais de visite. Il a un magnétophone. Il écoute Mario Pelchat, Charles Aznavour et Ginette Reno, sa préférée.

Grand, sec, courbé, André Loussaint agite les bras quand il parle du naufrage de l'Afrique ou de la déchéance d'Haïti. Il adore la politique. Il dévore les livres. Sur sa table de chevet, un livre sur la rébellion de 1837 à Saint-Eustache.

C'est un érudit, un passionné. Et un solitaire. Il parle très peu aux autres détenus. Il prend ses repas dans sa cellule. Il se fait parfois à manger. Il franchit à pas prudents les quelques mètres qui le séparent de la cuisine, au bout du couloir. Le matin de ma visite, il a mis des pommes de terre sur le feu. Il a oublié de mettre de l'eau. Ses pommes de terre ont brûlé.

«J'ai peur de faire de l'alzheimer», dit-il en cherchant ses pommes de terre. Il retourne doucement vers sa cellule en traînant les pieds sur le linoléum usé. Il porte un pantalon avachi et des babouches en plastique.

Sa vie se déroule dans une pièce de 11 pieds carrés, entre un lit étroit, un lavabo, une cuvette et une table. Son linge est jeté en vrac dans des sacs en papier.

Sa grande peur: être malade en prison.

Son rêve: mourir en Haïti.