À peine une heure trente après avoir échappé à un attentat qui a fait deux morts dans sa boutique du Vieux-Montréal, Ducarme Joseph a rencontré un tueur à gages surnommé «Gunman» associé aux gangs d'allégeance bleue dans le quartier Saint-Michel, selon des informations obtenues par la police.

Ducarme Joseph est en train de planifier sa revanche, a révélé l'expert en gangs de rue du Service de police de la Ville de Montréal, Jean-Claude Gauthier, lundi à l'enquête sur mise en liberté de l'homme de 41 ans. Cet incident a contribué à convaincre le juge Gilles Garneau de laisser Joseph derrière les barreaux, même s'il était la victime - et non l'auteur - de cet attentat.Bien qu'il se présente comme un homme d'affaires dans le milieu de la mode, Ducarme Joseph est toujours le chef du gang des 67, selon le sergent-détective Gauthier. Plusieurs membres de ce gang violent qui a vu le jour dans Saint-Michel sont aujourd'hui morts, paraplégiques ou en prison pour meurtre. «M. Ducarme Joseph a le potentiel d'éliminer des gens. Il est l'un des individus les plus dangereux dans les gangs de rue à Montréal présentement», a décrit le policier.

Symbole de gang à la boutique

Le W en majuscule dans le nom de la boutique FlaWnego - propriété de Ducarme Joseph - n'est pas un hasard, selon l'expert des gangs de rue. Cela représente un trident, important symbole d'un gang d'allégeance bleu des États-Unis, le Folk Nation Gang. D'ailleurs, le même symbole a été retrouvé dans une lettre en possession de Joseph lors de son arrestation vendredi dernier.

Rappelons que jeudi, deux personnes déguisées ont fait irruption en plein jour dans le magasin de la rue Saint-Jacques en tirant des dizaines de projectiles d'arme à feu. Joseph a réussi à fuir les lieux, indemne. Son chauffeur et garde du corps, Peter Christopoulos, a eu moins de chance. Il est mort criblé de balles. Le gérant de la boutique, Jean Gaston, 60 ans, a succombé lui aussi. Un autre garde du corps de Joseph, Frédéric Louis, a été blessé par balle, tout comme une victime innocente, un électricien qui faisait des travaux dans la boutique à ce moment-là.

Moins de deux heures après la fusillade, Ducarme Joseph a rencontré un tueur à gages, dans Saint-Michel, selon un informateur du sergent-détective Gauthier. Des agents ont d'ailleurs croisé Joseph cet après-midi-là dans le quartier et ont même parlé boxe avec lui. Joseph ne laissait pas paraître qu'il venait d'échapper à un attentat, selon ces policiers.

Joseph dit ne pas avoir d'ennemi

Plus tard jeudi, Joseph a répondu aux questions des enquêteurs au poste de quartier 21 au centre-ville. Alors que des témoins l'ont vu sur les lieux de la fusillade, il a juré aux policiers qu'il ne se trouvait pas sur place. À l'entendre, il n'a pas d'ennemi et mourra de vieillesse, a témoigné l'enquêteur Pascal Leclair du SPVM, lundi.

Ce qu'ignorait Joseph c'est qu'une équipe de surveillance physique du SPVM (filature) l'a suivi de sa sortie du poste de police jusqu'à son arrestation le lendemain. Ducarme Joseph a vite remplacé ses gardes du corps tombés au combat, a découvert la police. Dès sa sortie du poste, Joseph, à bord de sa Mercedes, était escorté par un autre membre de son gang, Charlotin Dutroy, qui le suivait dans une seconde voiture. Après avoir fait un arrêt dans un restaurant, Ducarme Joseph est rentré chez lui à Dollard-des-Ormeaux vers 22h30.

Le lendemain matin, Dutroy, accompagné d'un autre membre du gang, Fleurant Stevenson, est revenu cueillir Joseph chez lui. Le trio est allé déjeuner chez Cora, alors que les hommes n'avaient pas le droit de communiquer ensemble, a indiqué l'enquêteur Leclair au juge Garneau. C'était une rencontre pour organiser des funérailles, a argué pour sa part l'avocat des trois hommes, Me Gary Martin.

Dutroy et Joseph ont laissé Stevenson derrière pour ensuite rendre visite à l'entrepreneur en construction Antonio «Tony» Magi, dont les bureaux sont situés sur le chemin Upper Lachine, non loin d'où Nicolo Rizzuto a été abattu en pleine rue, en décembre dernier. À leur sortie des bureaux de Magi quelques minutes à peine après y être entrés, le duo a été arrêté par des policiers de l'escouade tactique (SWAT). Fleurant a également été arrêté ce jour-là.

Les policiers ont trouvé un document de trois pages en possession de Ducarme Joseph qui renforce leur thèse de la riposte. Le portrait d'un homme dessiné sommairement y figurait de même que l'inscription Fritz. On pouvait aussi lire: «Est-ce qu'il a les photos des gars à éliminer?»

Une prière tirée d'un rituel vaudou invoquant la protection du divin y était aussi inscrite, a décrit le sergent-détective Gauthier. «Aide-moi à appliquer la discipline!» pouvait-on y lire, sachant que Ducarme Joseph est «reconnu pour savoir faire passer ses messages», a renchéri le policier.

Demande spéciale en prison

À son arrivée au centre de détention de Rivière-des-Prairies, Joseph a fait une demande qui donne un indice supplémentaire de son allégeance bleue, selon la police. Il voulait être placé dans l'aile S-3, secteur reconnu «bleu», plus précisément avec le membre de gang McLee Charles. Ce dernier est de retour derrière les barreaux après avoir été libéré à la suite de l'avortement de son procès pour le meurtre de Raymond Ellis, innocente victime d'une guerre de gangs, survenu en 2005 au bar Aria.

Au moment de leur arrestation, Joseph, Stevenson et Dutroy étaient en probation, coaccusés dans une affaire de voies de fait armées survenue à la mi-septembre dans le restaurant Buonanotte sur le boulevard Saint-Laurent. En lien avec cette affaire, la Couronne a déposé samedi dernier une nouvelle accusation de possession d'un dispositif prohibé (silencieux d'arme à feu trouvé dans un tiroir de cuisine de Ducarme Joseph). À l'époque, ils avaient été remis en liberté en échange d'une importante caution - 50 000$ dans le cas de Joseph et 20 000$ chacun pour les deux autres.

Les trois hommes qui n'étaient pas armés au moment de leur arrestation ont reconnu leur culpabilité au bris de probation, lundi, espérant pouvoir recouvrer la liberté. En effet, ce type de bris mineur entraîne rarement une révision du cautionnement. Or, le juge Garneau en a décidé autrement, donnant raison à la Couronne, selon qui Ducarme Joseph représente un «danger pour la sécurité du public».

«Habituellement, des personnes menant des vies normales qui sont victimes d'un crime vont collaborer avec les policiers. Ici, le tableau est tout autre», a expliqué le magistrat. «Il y a de fortes probabilités qu'ils (les trois accusés) s'organisent ensemble ou seuls pour à tout le moins identifier les auteurs de la fusillade et il y a une forte probabilité qu'ils commettent des actes criminels», a ajouté le juge Garneau.

Le dossier sera de retour devant la cour jeudi. Le juge Garneau décidera alors s'il confisque le dépôt d'un total de 90 000$ fait par les trois accusés l'automne dernier.

 

Photo: Archives, La Presse

Ducarme Joseph.