Ils ont passé des années en prison. Aujourd'hui, ils sont vieux, vulnérables, malades. Libérés depuis peu, ils paient le prix pour leurs années de galère. Et ils sont de plus en plus nombreux. La population carcérale vieillit. Certains ont accepté de raconter leur histoire. Confidences.

Denis tire sur sa cigarette, une longue bouffée qui creuse ses joues.

«C'est le seul plaisir qu'il me reste», dit-il.

Il souffre d'emphysème. Il vit branché sur une machine huit heures par jour. «Mes poumons sont scraps, explique-t-il. Je suis comme un pépère de 83 ans.»

 

Il n'a que 53 ans.

La vie ne l'a pas épargné. La première condamnation en 1973, la prison à 18 ans. «J'ai eu sept peines qui ont cumulé 34 ans et un mois.» Il est sorti en 2003.

De 1973 à 2003, il a connu de brèves périodes de liberté. La plus longue a duré 54 jours. «Je sortais, je faisais des coups, pis je rentrais en dedans.»

Ses crimes: vols par effraction.

Il vient d'une grosse famille de Valleyfield. Son père était mécanicien, sa mère, femme au foyer.

- Elle pouvait pas travailler avec la trâlée d'enfants qu'on était.

- Combien?

- On devait être une bonne dizaine, certain.

Il a quitté la maison très jeune. «J'avais 12 ou 13 ans. Je crissais mon camp dans la rue. Salut, bonsoir! Je faisais les cent coups.»

Ses bras sont couverts de tatouages et ses cheveux noirs sont striés de gris. Toute sa vie se déroule dans sa chambre entre le lit étroit et la télévision qu'il regarde religieusement 14 heures par jour.

Il s'aventure parfois dehors pour aller au dépanneur acheter des cigarettes. Il parcourt à petits pas prudents la courte distance. Il s'enhardit parfois: deux, trois coins de rue, jamais plus, puis il revient dans sa chambre se brancher sur sa machine.

Il ne connaît pas grand-chose de «la vie dehors». Lorsqu'il a été libéré en 2003, il a eu un choc. «Ça m'a frappé comme un coup de poing. J'étais complètement désorganisé. En prison, tu as la sécurité, la bouffe. Si tu dérailles un peu, tu as le médecin, le psychiatre. Tout sur un plateau. Quand tu arrives dehors, c'est une claque.»

Denis n'arrivait pas à se trouver du travail ou un logement. Il faisait peur: un ancien prisonnier sur l'aide sociale, tatoué de la tête aux pieds.

Il lui restait la rue.

«J'étais dans la misère, j'étais enragé. La rue, c'est dur, madame. L'enfer. Trente ans de prison, c'est une promenade comparé à la rue.»

La rue a failli le tuer. Il a dormi sur des bancs, la peur au ventre. Il a attrapé une pneumonie et il a perdu du poids, beaucoup de poids. «Je me suis dit: je vais mourir.»

Il a décidé de retourner en prison, le temps de se refaire une santé. Il est entré par effraction dans une maison, puis il a attendu la police. «J'ai dit à mon avocat: «Je veux plaider coupable.» J'ai été condamné à six ans. J'étais content. Quand je suis entré en prison, je pesais 94 livres. Aujourd'hui, j'en pèse 170.»

Il prend la vie au jour le jour, une heure à la fois, «tranquillement, pas vite».

Sa chambre, sa petite promenade, ses cigarettes et sa télévision.