Arrivé au Canada en 1954 avec 100$ en poche, le chef mafieux Nicolo Rizzuto n'a pas paru impressionné, hier, en Cour du Québec, par l'amende de 209 200$ qu'il devra payer pour des histoires d'évasion fiscale remontant au milieu des années 90.

Sans jamais prononcer un mot devant le tribunal (tout s'est joué entre le juge Jean-Pierre Bonin, les avocats et l'interprète qui traduisait leurs propos en italien), le caïd sicilien, qui aura 86 ans jeudi prochain, a reconnu avoir caché à l'impôt des revenus d'intérêts de quelque 728 000$ provenant de placements totalisant 5,2 millions dans des banques de Genève et de Lugano, en Suisse.Avant le début de l'audience, alors que l'avocat de la poursuite, Me Yvan Poulin, lui rappelait la nature des accusations portées contre lui, le vieil homme, debout dans le prétoire, son chapeau mou encore sur la tête, s'est défendu en invoquant la bonne foi. «L'argent venait de mon travail au Venezuela, je ne pensais pas avoir à le déclarer», a-t-il dit, en haussant les épaules.

En bonne forme

Venu au palais de justice de Montréal en compagnie de son avocat, Me Loris Cavaliere, et d'un autre homme, Nicolo Rizzuto a semblé un peu surpris de voir qu'autant de cameramen et de journalistes l'attendaient. Le tribunal avait ordonné sa comparution, ce qui n'est pas automatique dans ce type de litige fiscal. Contrairement à l'allure affaiblie qu'il avait quand il a été accusé à la suite l'opération Colisée, en 2006, il semblait en bonne forme physique malgré son âge avancé.

C'est en 1994, à l'issue d'une autre grande enquête touchant la mafia, que la GRC avait découvert que le réputé «parrain» sicilien cachait 5,2 millions de dollars dans des banques suisses. Dans les heures qui ont suivi la rafle, sa femme, Libertina Manno, s'était rendue à Lugano pour fermer les comptes bancaires, détenus par des prête-noms. Elle était accompagnée d'un ami de longue date, Luca Giammarella, qui habite également le chic quartier Saraguay, dans le nord-ouest de la ville. Elle avait été maintenue en garde à vue pendant six mois avant de pouvoir rentrer à Montréal.

Ce sont les revenus d'intérêts sur ce magot de 5,2 millions que Nicolo Rizzuto n'avait pas déclarés au fisc, a indiqué Me Yvan Poulin devant le tribunal. L'amende de 209 200$ à laquelle il a été condamné hier équivaut à 135% de l'impôt éludé en 1994 et en 1995. On parlait, en l'occurrence, de 154 963$. Le juge Jean-Pierre Bonin lui a accordé un délai de 30 jours pour acquitter l'amende.

Plusieurs problèmes fiscaux

C'est sans compter, sur le plan civil, «les sommes énormes» que le riche mafioso de la rue Antoine-Berthelet a dû verser en impôts, intérêts et pénalités de toutes sortes afin de régler «l'ensemble de ses problèmes fiscaux» avec les gouvernements fédéral et provincial. Son fils Vito, actuellement sous les verrous aux États-Unis, ainsi que plusieurs autres membres de la famille Rizzuto ont aussi connu des ennuis avec le fisc au cours des dernières années. Une cause mettant en jeu plus de 900 000$ est même pendante en Cour fédérale de l'impôt, à Toronto. Le litige porte sur la vente de l'entreprise OMG, qui avait vendu à la Ville de Montréal des poubelles de recyclage affichant de la publicité.

C'est la quatrième condamnation en Cour criminelle de Nicolo Rizzuto, ici et ailleurs dans le monde. En 1974, il avait écopé d'une amende de 25$ après avoir été surpris dans une maison de jeu clandestine. En 1988, il a été condamné à six ans de pénitencier pour possession de cocaïne, au Venezuela. Il est rentré au Canada en 1994. Puis il a fait deux ans de prison pour gangstérisme et recel d'argent sale en marge de l'opération antimafia Colisée, en 2006.