En raison des cachotteries de la GRC, le narcotrafiquant Christopher Tune a été libéré, hier, en Cour du Québec, d'une accusation de complot pour l'importation de 500 à 1000 kg de cocaïne. L'affaire avait été mise au jour en 2006, avec la collaboration d'un agent-source.

Le problème, selon la juge Hélène Morin, qui a décrété l'arrêt du processus judiciaire, c'est que l'agent-source Pierre Tremblay était en libération conditionnelle pendant qu'il travaillait pour la police fédérale et qu'il a continué à faire du trafic de drogue sans que les autorités carcérales en soient avisées. Normalement, il aurait dû être ramené en prison pour bris de conditions, car il lui était interdit de fréquenter d'autres criminels ou de s'éloigner à plus de 60 km de son domicile.

 

D'après la juge Morin, les témoignages des policiers sont clairs: tous savaient que «les conditions de libération conditionnelle de Tremblay faisaient obstacle à sa collaboration», écrit-elle dans son jugement de 23 pages. Malgré cela, déplore-t-elle, dès qu'il a commencé à coopérer avec la GRC, en janvier 2005, «Tremblay a enfreint ses conditions, et ceci, avec la bénédiction et l'encouragement des policiers».

La preuve a démontré que le Service correctionnel canadien (SCC) et la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) ont été tenus dans l'ignorance jusqu'au 12 août 2005, alors que des dirigeants de la GRC faisaient des pieds et des mains depuis quelques mois pour assouplir les conditions de libération de Tremblay. En attendant une entente formelle, la GRC a même retiré Tremblay de la circulation «en l'envoyant en vacances», selon l'expression de la juge Morin.

Selon un officier supérieur de la GRC, «cette démarche de signer une entente avec une personne en libération conditionnelle était une première au Canada, et le Service correctionnel voulait des garanties au sujet des mesures de surveillance» que la GRC prendraient à l'endroit de Tremblay. Réponse de la GRC: on ne tolérera aucun écart de sa part. Durant toute cette négociation, la GRC n'a jamais informé les autorités carcérales que Tremblay trempait dans des activités criminelles depuis sa mise en liberté, en mai 2003. Il venait de purger trois ans d'une peine de 15 ans pour son implication dans une histoire d'importation de cocaïne pour le compte du caïd Raymond Desfossés, du gang de l'Ouest.

Devant le tribunal, les policiers ont reconnu que Tremblay aurait revendu au-delà de 150 kg de cocaïne pendant qu'il était en libération conditionnelle. C'est sans compter la vente d'ecstasy et de haschisch. Le pire, c'est qu'il devait encore 26 000$ à son fournisseur, Daniel Rivard, quand il a finalement signé un contrat en bonne et due forme d'agent-source avec la GRC, le 2 septembre 2005. Jusque-là, les enquêteurs le considéraient comme un simple informateur - c'était d'ailleurs la défense de la GRC dans le présent dossier - mais, de l'avis de la juge Morin, la preuve a montré qu'il a toujours agi comme s'il était un agent-source.

Pourtant, «tous les policiers savaient que leur manuel des opérations indiquait clairement qu'ils ne pouvaient donner à une source en libération conditionnelle ou en probation des directives qui constituerait une infraction à la loi ou une violation des conditions de sa libération conditionnelle ou de sa probation», a souligné la juge.

Bref, «Tremblay trafiquait de façon constante, à l'insu du Service correctionnel, mais à la connaissance de la police», constate la juge, qui affirme que «la GRC a délibérément berné la CNLC pour arriver à ses fins».

«Dans de telles circonstances, écrit la juge, comment ne pas conclure à un abus et à une faille irrémédiable dans la confiance que la collectivité est en droit d'avoir avoir dans les diverses agences de l'État chargées d'assurer le respect de la loi et sa sécurité?»

Incarcéré depuis décembre 2006, Tune a sauté dans les bras de son avocat, Me Julius Péris, en entendant le jugement. Il lui reste une autre cause à régler avant d'être libéré. Le ministère public étudie la possibilité d'interjeter appel la décision de la juge Hélène Morin. Un autre juge de la Cour du Québec est saisi d'une requête similaire en arrêt du processus dans un dossier lié à la même enquête. L'accusation concerne cette fois Daniel Rivard, également tombé dans le piège de l'agent-source de la GRC.