Les journalistes seront désormais moins vulnérables quand une poursuite en diffamation sera intentée contre eux. La Cour suprême leur a offert une nouvelle protection, hier, dans le but avoué d'éviter que les poursuites ou les menaces de poursuites «servent d'arme permettant aux riches et aux puissants d'entraver la diffusion de l'information et le débat essentiels à une société libre».

Cette nouvelle protection, confirmée par deux jugements de la Cour suprême rendus publics hier, c'est la défense de «communication responsable».

 

Les deux jugements visaient des poursuites pour diffamation contre des médias, l'une opposant l'Ottawa Citizen à un policier, l'autre, le Toronto Star à un homme d'affaires.

Dans la mesure où ils écrivent sur des questions d'intérêt public (ce qui n'inclut pas des potins sur telle ou telle célébrité, précise l'un des jugements), les journalistes canadiens qui exercent dans une province autre que le Québec pourront désormais se tirer d'affaire en démontrant qu'ils ont bel et bien respecté les normes journalistiques en vigueur. Et ce, même quand certains aspects de leurs reportages se seront révélés faux.

Ce faisant, la Cour suprême donne aux journalistes du Canada une défense qui est déjà accordée dans plusieurs pays du Commonwealth, au Royaume-Uni et en Australie, par exemple.

Et les journalistes du Québec, eux? Comme l'explique Barry Landy, avocat en droit de la diffamation chez Spiegel Sohmer, cet arrêt de la Cour suprême donne aux journalistes du reste du Canada une protection dont jouissent déjà les reporters du Québec en vertu du Code civil.

«Ici, pour qu'un journaliste soit tenu responsable, il faut prouver qu'il y a eu faute», explique Me Landy.

Il faut, poursuit-il, que le journaliste ait mal fait ses recherches ou n'ait pas permis, par exemple, à la personne visée par un article de donner sa version des faits.

À l'inverse, au Canada anglais, avant ce jugement de la Cour suprême, «une seule erreur de fait était fatale», même quand le journaliste et son média avaient été parfaitement précautionneux et qu'ils avaient respecté le b.a.-ba journalistique.

Cela ne veut pas dire que partout au Canada les journalistes peuvent désormais écrire n'importe quoi, loin de là.

Seulement, comme l'explique Christian Leblanc, avocat spécialisé en droit des médias chez Fasken Martineau DuMoulin, il arrive que, malgré toutes les précautions du monde, un pan d'un article se révèle faux. Que les deux sources officielles réputées très fiables nous aient berné et que le document qui avait tout l'air d'être béton se révèle faux. Quand cela se produit, le journaliste et son média ne peuvent être tenus responsables.

Ce que nous dit la Cour suprême, analyse Me Leblanc, c'est que, «au nom de la liberté d'expression, la société doit accepter que certains reportages ne seront pas parfaits». Car exiger la perfection «aurait un tel effet refroidissant sur les médias qu'ils mettraient des mois avant de parler d'un sujet pourtant d'intérêt public. La Cour suprême croit qu'il faut privilégier la plus grande liberté de publier sur des sujets d'intérêt public sans que le média ait peur d'être poursuivi le lendemain».

Même si les jugements rendus hier concernent les provinces où s'applique la common law, Me Landy et Me Leblanc croient tous deux qu'ils risquent fort de teinter de futures décisions au Québec.

Comme le résume Me Leblanc: «La liberté d'expression et le droit du public à l'information sont protégés par la Charte canadienne (des droits et libertés). Le Québec fait toujours partie du Canada, et on a une jurisprudence qui nous dit que la Charte doit s'appliquer de façon égale partout au Canada. (...) Ainsi, les valeurs que véhiculent ces jugements peuvent et doivent être mises en application au Québec.»