Les ambitieux projets du Hells Angels Normand Marvin Ouimet d'infiltrer l'industrie de la construction se sont sans doute écroulés, hier, avec le démantèlement d'un important «réseau de partenaires silencieux» qui l'aidait à s'immiscer dans des entreprises légitimes tout en blanchissant les énormes profits qu'il tire du trafic de la drogue à Montréal et ailleurs.

Outre les «facilitateurs» qui travaillaient dans son orbite, Ouimet comptait parmi ses proches alliés Louis-Pierre Lafortune, ancien vice-président de Grues Guay et l'un des dirigeants actuels de l'Association des propriétaires de grues du Québec (APGQ). C'est Lafortune, a-t-on appris, qui l'a présenté à l'ancien patron de la FTQ-Construction, Jocelyn Dupuis.

 

Dupuis n'est accusé de rien, si ce n'est d'avoir quitté le syndicat dans la controverse l'an dernier. Mais un représentant de la FTQ-Construction, Guy Dufour, de la section locale 100 des métiers de la truelle, est nommé dans les dénonciations produites au palais de justice. D'après la police, il aurait fait remettre des cartes de qualification à des travailleurs qui ne répondaient pas nécessairement aux exigences de la Commission de la construction du Québec (CCQ). Il aurait notamment fabriqué de faux documents.

Parmi les 14 personnes mises en accusation, on trouve la femme de Normand Ouimet, Julie Marien; un comptable de Repentigny, Jean Siminaro; un informaticien de L'Assomption, Frédéric Turenne; et un agent immobilier de Laval, Roberto Amato. Il y a également des hommes de main comme Jerry Purdue, anciennement du gang de l'Ouest, et Yves Lafontaine, un des pionniers des défunts Rockers de Montréal. Pour la plupart, ils font face à des accusations liées au blanchiment d'argent et au gangstérisme.

Avec la complicité active et le savoir-faire de l'un et de l'autre, Ouimet commençait à s'imposer dans l'industrie de la construction. D'après l'enquête de la Sûreté du Québec, l'influent motard de Trois-Rivières aurait acquis au moins trois entreprises de maçonnerie de Montréal et de la grande région métropolitaine. Il ciblait plus particulièrement des entreprises en difficulté financière, qu'il remettait sur les rails grâce à ses précieuses relations et à son argent sale.

Une fois bien en selle, il mettait dans le coup son équipe de spécialistes, ce qui lui permettait non seulement de blanchir l'argent qu'il tirait du trafic de drogue au centre-ville de Montréal, mais également de faire prospérer sa fortune en achetant d'immenses terrains dans les régions de Labelle, de L'Annonciation et de L'Assomption. Selon les policiers, il cachait aussi beaucoup d'argent dans des paradis fiscaux, à l'étranger. Les biens bloqués sont évalués à plus de 9 millions de dollars.

Grâce à un impressionnant réseau de comptabilité informatique, Ouimet pouvait gérer ses avoirs à distance. «Il avait ce que l'on pourrait appeler un safe-house», a souligné le grand patron de l'enquête, Denis Morin, du Service des enquêtes sur la criminalité financière de la SQ. Selon lui, pas moins de 75 personnes - victimes ou simples témoins - ont été rencontrées au cours des deux ans qu'a duré l'enquête. Plusieurs sont même prêtes à témoigner devant les tribunaux.

«Sans des citoyens qui se tiennent debout et refusent de se laisser intimider, il est difficile de contrer ce type de criminalité souterraine qui sape notre économie», a pour sa part déclaré l'inspecteur Michel Forget, en rappelant le courage des hommes d'affaires qui ont aussi permis d'amener devant les tribunaux, il y a quelques mois, le gang de Yannick Larose, proche des Hells Angels, qui tentait de prendre le contrôle des commerces d'esthétique automobile à Montréal et à Québec.

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Dernière phase de Diligence

La rafle d'hier constitue la troisième et dernière phase de l'opération Diligence. Entamée en 2007, cette enquête vise des activités de blanchiment d'argent et d'infiltration de l'économie légale dans le milieu de la construction par les Hells Angels. Entamée en 2007, l'enquête a donné lieu en juin dernier à une série de perquisitions dans des résidences et commerces de Labelle, Saint-Roch de l'Achigan, Laval, Montréal, l'Assomption, Lachute et Repentigny. Plusieurs de ces endroits étaient la propriété de l'influent Hells Angels Normand Marvin «Casper»Ouimet, du chapitre de Trois-Rivières.

Cette série de raids a été suivie le 16 septembre par l'arrestation de six personnes qui blanchissaient les narcodollars de Ouimet et de son «frère» motard, Martin Robert, dans des compagnies off-shore enregistrées dans des paradis fiscaux. Parmi les accusés, on retrouve l'ancien «redresseur de situation financière précaire», Michel Sainte-Marie, son fils Dax, sa fille Mélanie, ainsi qu'un autre vieux routier du crime, Richard Felx, déjà condamné pour fraude.

Hier, la Sûreté du Québec a affirmé être passé à la phase finale du dossier «Casper» Ouimet en portant des accusations contre 14 autres personnes soupçonnées de l'avoir aidé à prendre de l'expansion dans le secteur de la maçonnerie, au coeur de l'édification du gros oeuvre et de certains travaux de revêtement. Il comptait parmi ses alliés l'un des dirigeants de l'Association des propriétaires de grues du Québec, Louis-Pierre Lafortune, et un représentant de la FTQ-Construction, local 100 des métiers de la truelle, Guy Dufour. Au moment de mettre sous presse, Lafortune et trois autres suspects étaient recherchés.