Indignation chez des porte-parole de la communauté haïtienne: un adolescent noir aurait été injustement malmené au cours d'une intervention policière le mois dernier. Profilage racial? Ou malentendu? Car les policiers, eux, maintiennent une autre version des faits.

Les porte-parole ne font pas confiance au Commissaire à la déontologie policière pour faire la lumière sur l'événement. C'est donc à la Commission des droits de la personne qu'ils demandent d'examiner les procédures d'interrogatoire et d'arrestation de mineurs de couleur par les policiers de Montréal.

«Ce n'est pas un cas isolé», a plaidé mardi Don Fils-Aimé, du Regroupement d'intervenants d'origine haïtienne de Montréal-Nord. «Mais c'est rare qu'un jeune se mette à l'avant pour dénoncer ce genre d'activités.»

Au coeur de la demande, le cas d'Antonio, 14 ans. En conférence de presse mardi, l'adolescent, qui a choisi un pseudonyme, a raconté comment il aurait été malmené par des policiers, le 20 mars dernier.

L'adolescent se trouvait à proximité de l'école primaire Adélard-Desrosiers, rue Fortin à Montréal-Nord. «J'ai vu une bagarre», a-t-il raconté. Deux jeunes, d'origine magrébine et élèves de la même école secondaire que lui, se battaient sous les yeux d'une vingtaine de jeunes, à une dizaine de mètres de lui. «J'ai voulu approcher quand j'ai vu les policiers arriver.»

À l'arrivée de l'auto de patrouille, selon le récit d'Antonio, tous les spectateurs se sont enfuis en courant. «Moi, je n'avais rien fait, alors je me suis éloigné en marchant. Mais les policiers sont venus vers moi.»

Antonio, 1m65 et 60 kilos, n'a pas un physique particulièrement imposant. Il dit avoir vu deux policiers se diriger vers lui sans rien dire. Ils l'auraient plaqué au sol, lui ont immobilisé les jambes et ont mis un genou dans son dos et un autre sur son visage. «Je disais: lâchez-moi! J'ai rien fait! Mon visage frottait sur le sol, j'ai été blessé à la joue.»

Les policiers l'auraient ensuite plaqué sur la voiture de patrouille pour le fouiller. «Ils ont dit: on sait pas ce que t'as fait, mais on va le savoir.» Antonio a été menotté et est monté dans l'auto pour répondre aux questions des policiers. Ceux-ci l'ont finalement reconduit chez lui. En l'absence des parents, les policiers l'ont confié à un voisin.

Témoin... ou assaillant?

L'inspecteur-chef Paul Chablo, chef de la division des communications au Service de police de la Ville de Montréal, a toutefois une autre version des faits. Selon les agents, Antonio n'était pas témoin, il était l'un des deux jeunes impliqués dans la bagarre. Il ne nie pas qu'Antonio ait été «couché au sol», ni qu'il ait été menotté, ni qu'il ait été confié à un voisin «fiable, que le jeune connaissait».

«Les policiers n'ont pas porté d'accusation», ajoute M. Chablo, en précisant que ce n'est pas étonnant. «Est-ce que c'est l'administration de la justice que d'accuser au criminel un jeune de 14 ans qui se battait?»

Le père d'Antonio a rencontré le commandant du poste de police le lundi suivant. On lui a dit qu'il pouvait déposer une plainte au Commissaire à la déontologie policière s'il était insatisfait de l'intervention.

«Mais nous avons déconseillé à la famille de porter plainte à la déontologie policière», a dit en conférence de presse Fo Niemi, du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR). «Avec le Commissaire, les policiers ont le droit de garder le silence, de ne pas coopérer à l'enquête.»

Dans la plainte déposée à la Commission des droits de la personne, le CRARR réclame 20 000$ en dommages moraux et 10 000$ en dommages punitifs et matériels pour la violation des droits de l'adolescent. Les procédures peuvent cependant durer deux ou trois ans.

La version contradictoire donnée par les policiers n'étonne pas Will Prosper, de Montréal-Nord Républik. «On s'y attendait un peu, dit-il. Mais on a fait une enquête sur le terrain et on a recueilli plusieurs témoignages selon lesquels Antonio n'était pas impliqué dans la bagarre.»