Un verdict historique a été rendu samedi par un jury ontarien qui a reconnu coupable de meurtre prémédité un Canadien pour avoir transmis à des femmes le virus du sida. L'accusé compte maintenant porter sa cause en appel. Si la décision est confirmée, l'impact de ce jugement pourrait être considérable au pays, disent des experts.

Johnson Aziga, un Ontarien de 52 ans, a été accusé en 2003 d'avoir mis délibérément la vie de 11 femmes en danger en ayant avec elles des relations sexuelles sans se protéger, tout en sachant pertinemment qu'il était porteur du VIH depuis plusieurs années. Sept d'entre elles ont contracté le VIH. Deux sont mortes des suites du sida.

 

Après trois jours d'intenses délibérations, le jury composé de neuf hommes et trois femmes a reconnu, samedi après-midi, cet ancien employé du ministère de la Justice ontarien coupable de deux meurtres avec préméditation et de 10 chefs d'agression sexuelle grave. Le verdict d'homicide volontaire au premier degré s'accompagne automatiquement d'une peine de prison à vie sans possibilité d'obtenir une libération conditionnelle avant 25 ans. Sa peine sera connue le 7 mai.

« C'est la première fois qu'on y allait d'accusations aussi graves dans une affaire du genre. La Couronne a sorti l'artillerie lourde, sans doute pour lancer un message clair à tous ceux qui, comme M. Aziga, seraient tentés de prendre des risques pour la santé d'autrui pour satisfaire leurs propres désirs personnels. Ils devront maintenant penser que cela peut les mener à des accusations de meurtre», observe le criminologue Jean-Claude Hébert.

Avant ce procès historique, les accusations portées relevaient de l'agression sexuelle avec circonstances aggravantes. «C'est un précédent d'une grande importance qui devrait inciter les gens à agir avec beaucoup plus de prudence», ajoute-t-il.

«On n'aurait jamais eu un verdict aussi agressif il y a 10 ans, observe de son côté le professeur à l'Université d'Ottawa David Paciocco. La Cour est en train de transformer son interprétation des lois.»

«Pour reconnaître cet homme coupable d'homicide volontaire, il fallait prouver hors de tout doute qu'il a agi avec l'intention de tuer une autre personne, et pas seulement d'une manière négligente qui a provoqué la mort. C'est discutable. Ce verdict va peut-être trop loin», dit-il.

Dans ces conditions, David Paciocco croit que les chances que cette cause soit portée en appel sont élevées. Hier, la défense a indiqué qu'elle songeait sérieusement à cette avenue et que son client n'a pas pu mettre délibérément la vie de ses partenaires en danger puisqu'il souffrait de troubles mentaux. M. Aziga était déprimé par une séparation difficile, des ennuis financiers et des problèmes de surconsommation d'alcool, ont fait valoir ses avocats pendant le procès.

Munyonzwe Hamalengwa, l'un des avocats de la défense, affirme que ce «très mauvais précédent» entache le fonctionnement du système de justice criminelle. Me Hamalengwa croit que les gens hésiteront à divulguer leur séropositivité à des partenaires sexuels de crainte d'être accusés. Des gens décideront de ne pas subir des tests de dépistage, même s'ils soupçonnent être porteurs du VIH, pour ne pas savoir.

Dans ses instructions au jury, le juge a défini neuf éléments essentiels pour reconnaître l'accusé coupable de meurtre au premier degré hors de tout doute raisonnable. Les jurés ont conclu qu'Aziga savait qu'il était séropositif, qu'il savait que la loi l'obligeait à informer ses partenaires sexuels mais qu'il ne l'a pas fait, et qu'Aziga a causé la mort des deux femmes en leur transmettant le VIH au cours de relations sexuelles.