Les groupes criminels utilisent de moins en moins les avions pour importer de la cocaïne en grande quantité au Canada et se tournent de plus en plus vers les camions à remorque pour transporter leur marchandise illégale au pays.

C'est du moins ce que soutient l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) dans un rapport interne rédigé en 2008 faisant le point sur la contrebande de cocaïne au Canada. La Presse a obtenu des extraits de ce rapport grâce à la Loi sur l'accès à l'information.

«Les remorques de transport arrivant à la frontière terrestre ont remplacé les aéronefs arrivant dans les aéroports comme principal moyen de transport de la contrebande de cocaïne», peut-on lire dans les extraits du rapport.

La Presse a tenté d'obtenir la semaine dernière le rapport intégral, mais les fonctionnaires de l'ASFC ont refusé de le divulguer. Ils ont invité La Presse à formuler une nouvelle demande en vertu de la Loi sur l'accès pour obtenir ledit document.

Quoi qu'il en soit, les extraits du rapport démontrent que les groupes criminels ont modifié leur stratégie pour importer de la cocaïne, vraisemblablement à la suite du resserrement des mesures de sécurité aux aéroports dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, selon des experts en matière de sécurité.

Selon les statistiques compilées par l'ASFC, près de 70% de la cocaïne saisie au pays en 2002 l'avait été dans des aéroports. Or, en 2008, la proportion de la cocaïne saisie dans les aéroports au pays tombait à seulement 25%.

Postes frontaliers de l'Ouest privilégiés

En outre, il semble que les groupes criminels privilégient davantage les postes frontaliers des provinces de l'Ouest pour importer cette drogue dure. En effet, le nombre de saisies effectuées à bord de véhicules dans la région du Pacifique a plus que doublé depuis 2001.

«Près de 500 kilos de cocaïne ont été saisis en 2008 à bord de camions commerciaux au seul poste frontalier de Pacific Highway, au sud de Vancouver. Au cours des 11 derniers jours de l'année 2008, deux expéditions de drogue, de 121 kilos et de 97 kilos respectivement, ont été découvertes dans des camions se rendant au Canada. Dans le second cas, les drogues avaient été dissimulées dans un chargement de bananes transportées de la Californie à Vancouver», peut-on lire dans les documents de l'ASFC.

Au cours des derniers mois, plusieurs fusillades ont éclaté au centre-ville de Vancouver, qui seraient le résultat de la bataille entre différents groupes criminels pour le contrôle du trafic de la drogue. Ces fusillades ont fait une douzaine de morts depuis le mois de janvier seulement.

Le ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, a affirmé en fin de semaine qu'il ne fait aucun doute que cette flambée de violence dans les rues de Vancouver était reliée au problème du trafic de la drogue qui sévit depuis plusieurs années.

Selon Michel Juneau-Katsuya, ancien cadre au Service canadien de renseignements et de sécurité (SCRS) et expert en matière de sécurité, il semble que les groupes criminels aient décidé d'utiliser d'autres moyens de transport que les avions, à la suite des attentats du 11 septembre, pour importer illégalement et en grande quantité de la cocaïne.

«Il y a diverses raisons qui pourraient expliquer pourquoi les contrebandiers ont changé leur méthode. La principale est probablement le resserrement de la sécurité aux aéroports. Il y a plus de vérification sur les personnes qui ont accès à ces endroits même s'il reste encore de gros trous dans la sécurité aéroportuaire», a affirmé M. Juneau-Katsuya.

Il a souligné que, depuis le 11 septembre, il y aussi a plus de marchandises qui sont transportées par voie terrestre en raison des contrôles dans les aéroports.

«Cela offre donc des occasions supplémentaires pour les groupes criminels. En fin de compte, c'est une question de volume. Il faut toujours voir les membres du crime organisé comme des entrepreneurs du crime. Ce sont avant tout des entrepreneurs et ils vont examiner leurs meilleures options pour maximiser leurs gains.»

Faiblesse des moyens pour combattre le fléau

Toutefois, M. Juneau-Katsuya a rappelé que les statistiques de la GRC démontrent que les forces de l'ordre n'arrivent à saisir que seulement 5% à 10% de la drogue illégale qui entre au pays à nos frontières. «Cela démontre deux choses : la force du marché et la faiblesse de nos moyens à combattre ce fléau. Dans cette perspective, le gouvernement devrait cesser d'utiliser nos douaniers comme des percepteurs de taxes et les employer plutôt pour sécuriser nos frontières», a commenté l'expert en sécurité.

Le critique du NPD en matière de sécurité, Jack Harris, a fait écho aux propos de M. Juneau-Katsuya en affirmant que le gouvernement canadien doit augmenter les effectifs à la frontière. «Il est clair que lorsqu'on augmente la sécurité aux aéroports, les gens vont essayer de trouver d'autres moyens de transporter leurs produits. Il faut mieux outiller nos douaniers à la frontière», a dit M. Harris.

Le sénateur libéral Colin Kenny, qui préside le comité de la sécurité nationale au Sénat qui a produit plusieurs rapports inquiétants sur la sécurité à nos frontières, affirme que les aéroports sont toujours aussi utilisés par les criminels pour importer de la drogue, mais en plus petite quantité. «Il est plus facile d'importer une importante quantité de drogue dans un camion que dans un avion. (...) Mais mon expérience me dit que les cargaisons vont là où la frontière est plus vulnérable», a dit le sénateur.

- Avec la collaboration de William Leclerc