La Cour suprême a rejeté hier la demande d'appel de la Ville de Québec pour bloquer une poursuite au civil contre deux de ses policiers accusés de profilage racial. Même si le recours a été déposé trois ans après les faits, les plaignants ont le droit de demander réparation, avait statué la Cour d'appel en septembre dernier.

Le soir du 6 avril 2003, Marie-Anne Pierre-Louis et ses jumeaux, âgés de 17 ans à l'époque, se rendaient à un souper pour souligner le championnat de basketball remporté par l'équipe du Séminaire de Québec, dont faisaient partie ses fils. Au volant de la fourgonnette familiale, Mme Pierre-Louis, qui est de race noire, circulait normalement dans la rue Saint-Nicolas lorsqu'elle a été interceptée par deux agents du Service de police de la Ville de Québec.Devant le Comité de déontologie policière, les policiers ont dit avoir intercepté la fourgonnette parce qu'il s'agissait d'un «véhicule d'intérêt» parce qu'il est facile à voler.

L'un des agents a décidé par la même occasion de vérifier l'identité des passagers «car il a remarqué qu'il s'agissait d'individus de race noire», a-t-il révélé au Comité. Il explique sa démarche notamment par l'enquête des policiers au sujet d'un gang de rue de Québec impliqué dans la prostitution juvénile, les Wolf Pack, «dont la plupart des membres sont de race noire».

Le Comité de déontologie policière, en avril 2006, a en effet statué que l'interception du véhicule et la vérification de l'identité des passagers étaient fondées sur la race de ses occupants.

À la suite de cette décision, Mme Pierre-Louis et ses fils ont intenté une poursuite civile contre les policiers et la Ville de Québec.

Ces derniers ont répliqué par une requête en irrecevabilité: selon la Loi sur les cités et villes, la poursuite devait être déposée au plus tard six mois après le 6 avril 2003. Or, la poursuite a été déposée trois ans après les faits. Le juge de la Cour supérieure a donné raison à la Ville de Québec.

Mme Pierre-Louis a porté sa cause en appel. Elle a soutenu que la prescription a été suspendue le 9 avril 2003, trois jours après les faits, par le dépôt d'une plainte à la Commission des droits de la personne. Les procédures judiciaires doivent être interrompues le temps de l'enquête de la Commission.

La Cour d'appel a donc infirmé la décision de la Cour supérieure. Et hier, en refusant d'entendre l'appel de la Ville de Québec, la Cour suprême a confirmé le droit de Mme Pierre-Louis de poursuivre au civil.

Des centaines de recours en jeu

Même si elle n'était pas visée directement par le recours, la Commission des droits de la personne est intervenue dans le dossier. Si la décision de la Cour supérieure avait été maintenue, des centaines de dossiers de plaintes contre des villes seraient tombés, dit l'avocat de Mme Pierre-Louis, Noël Saint-Pierre.

«C'est impossible pour la Commission de finir une enquête et de commencer une poursuite à l'intérieur de six mois», dit Me Saint-Pierre.

L'avocat compte démontrer en cour que la Ville de Québec «n'a jamais rien fait» pour prévenir le profilage racial par ses policiers, contrairement à Montréal. Me Saint-Pierre fait d'ailleurs de la formation auprès des policiers montréalais pour prévenir le profilage racial.

La Commission n'a jamais pu compléter son enquête dans le cas de Mme Pierre-Louis. Qu'importe: forte de la décision du Comité de déontologie policière, la famille poursuivra ses recours au civil pour obtenir réparation. Elle réclame plus de 200 000$ en dommages et intérêts.